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le violoneux de la sapinière.

riders, on peut entrer dans l’enceinte du pesage ; on examine les jockeys et les chevaux. Vous comprenez que c’est très-important, pour parier.

— Vous pariez !

— Eh oui, sans doute ! À la dernière course, j’ai parié pour Frégate qui a perdu d’une tête seulement : c’est n’avoir pas de chance. Le vicomte de Montadille, qui avait parié avec moi, m’a dit : « Vrai Dieu, mademoiselle, voilà un coup bien inattendu : il y a de quoi abattre un honnête homme. Ce qui me console, c’est d’être battu avec vous. »

— Un vicomte ! répéta Sylvanie.

— Oui, un de nos beaux : il est connu de tout Nantes. Ce jour-là il était éblouissant : tout en blanc, pour faire honneur au premier soleil de l’année, avec un liséré bleu à son gilet, et une chemise admirablement brodée : des têtes de chevaux au plumetis ! Et puis une cravate bleue si admirablement mise, une raie si bien faite, juste au milieu du front, une moustache si bien cirée ; et à sa chaîne, des breloques d’un goût si exquis ! Il m’a abritée sous son parasol, en me faisant remarquer que, puisque les dames prenaient les armes des hommes, — il indiquait ma canne, — les hommes pouvaient bien leur emprunter les leurs. Mais soyez tranquille, ajoutait-il, c’est pour les mettre à vos pieds, — ou sur votre tête, à l’occasion. Oh ! il a un esprit ! et une manière de dire ! D’ailleurs tous ces messieurs font assaut de grâce. C’est vraiment une vie enchanteresse !

— Oh oui ! et je comprends que vous trouviez le couvent bien triste.

— Sans vous, ma chère, j’y périrais d’ennui. J’ai eu bien de la peine à me résoudre à y entrer ; mais, que voulez-vous ! Je n’ai jamais connu ma mère ; j’ai eu cinq ou six institutrices. La dernière m’a quittée pour se marier, malgré les offres magnifiques que mon père lui faisait pour qu’elle nous suivît en Amérique. Mon père sera très-occupé de ses affaires là-bas, et ne pouvait pas m’emmener sans quelqu’un pour me tenir compagnie. D’ailleurs je ne me souciais pas trop d’y aller ; je connais une personne qui en est revenue rôtie par le soleil et brune comme une Africaine. Il m’a donc placée ici parce qu’il a une cousine qui connaît la supérieure et qui demeure à Luçon ; elle a promis de me faire sortir. Je ne sais pas si mes sorties et mes vacances seront bien gaies : ma cousine a l’air terriblement province !

— J’espère qu’elle voudra bien vous amener à Chaillé ; nous tâcherons de vous distraire un peu, selon nos moyens.