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le violoneux de la sapinière.

Une nouvelle ! Et les pensionnaires, qui jouaient ou babillaient dans le jardin, tournaient à chaque instant leurs regards vers la porte du parloir. Cette porte s’ouvrit enfin, et la nouvelle fit son apparition en haut du perron. Sur l’invitation de la supérieure, elle en descendit les marches et fit quelques pas, en hésitant un peu, vers les jeunes filles qui s’étaient toutes arrêtées dans leurs jeux et restaient immobiles à la regarder.

C’est qu’en effet il y avait de quoi. La plupart des jeunes filles étaient étonnées ; mais Sylvanie était éblouie. La nouvelle était à peu près de sa taille, mais elle paraissait bien plus grande, grâce aux talons démesurés sur le haut desquels elle perchait, et qui lui rendaient nécessaire pour marcher le secours d’une canne. Elle était habillée exactement comme une gravure de mode, et ses jupons présentaient une vaste envergure, et faisaient entendre, à son moindre mouvement, un majestueux frou-frou qui rappelait le bruit d’un ouragan dans les feuilles sèches. Il faut croire qu’elle était myope, car elle portait sur son petit nez un binocle doré, servant aussi à empêcher la chute du petit chapeau qui occupait l’espace compris entre son haut chignon poudré d’or et ses yeux. Les susdits yeux disparaissaient presque entièrement dans l’ombre du bord du chapeau : on ne pouvait donc en voir la couleur ; mais on voyait bien les joues très-rouges, le menton très-blanc, et les tempes blanches aussi avec des veines du plus beau bleu, que rejoignaient des sourcils plus longs qu’il n’est d’usage de les avoir. Une petite qui la contemplait avec admiration poussa le coude de sa voisine et lui dit tout bas : « Oh ! elle ressemble tout à fait à la belle poupée de ma cousine ! »

Cette remarquable personne laissa errer son regard sur la troupe des pensionnaires, à la façon de Diogène cherchant un homme. À la fin, reconnaissant à certains nœuds prétentieusement placés que Mlle Sylvanie était digne de sa sympathie, elle s’avança vers elle. Sylvanie, enivrée d’un pareil honneur, fit l’autre moitié du chemin, et s’attacha à ses pas pour le reste de la journée. Ce fut elle qui lui servit de cicérone au jardin, à l’étude, à la classe, au réfectoire, au dortoir ; elle obtint de la placer près d’elle, et la mit au courant de toutes choses avec une complaisance qu’on ne lui avait jamais connue. Elle en fut récompensée : elle eut le plaisir de s’entendre appeler par l’élégante : « Mlle du Lardier », et au bout de quinze jours elles étaient ce qu’on appelle, dans les pensionnats de jeunes filles, des amies intimes.