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le violoneux de la sapinière.

la bêche en main, et, ne pouvant rester oisive, elle s’occupa à savonner du linge dans une grande auge de pierre comme il y en a beaucoup en Vendée, et qui était peut-être là depuis cent ans. Quand le terrain fut retourné et le linge lavé et étendu :

« Voilà de l’ouvrage bien fait ! dit Véronique en riant. À présent viens à la maison ; je vais te donner à boire, et puis… tu verras.

— Qu’est-ce que je verrai ?

— Tu verras ! quand tu auras bu. Tiens, voilà un pot de cidre et deux verres : à ta santé ! — non, tu te portes bien, — à la santé de ton père !

— Ah ! oui, c’est cela ; je suis bien aise que tu penses à lui, le pauvre homme, avec sa fièvre.

— Est-ce que le docteur ne peut pas la lui ôter, sa fièvre ?

— La mère ne l’a seulement pas fait venir, elle dit que la médecine ne fait rien aux fièvres. Mais je vais aller le chercher, la mère dira ce qu’elle voudra. À propos, qu’est-ce que tu voulais me faire voir ? »

Véronique sourit et mit un doigt sur sa bouche. Silencieusement, elle alla à la grande armoire, en tira une petite bouteille noirâtre, des plumes et du papier blanc ; elle plaça le tout sur la table devant Ambroise, et lui dit d’un air sévère :

« Allons, monsieur, faites votre page d’écriture, et tâchez de vous appliquer : si vos bâtons ne sont pas droits, vous aurez affaire à moi !

— Écrire ! dit Ambroise ébahi. Tu sais écrire, toi ? Voyons donc ce que tu sais faire ! »

Elle tira un autre cahier et le lui montra page par page. C’étaient d’abord des apparences de bâtons, puis des bâtons plus nets, et enfin droits… comme doivent être des bâtons. Puis il y avait des O, dont les uns ressemblaient à une poire et les autres à un petit pain : pour être juste, il faut convenir que les derniers étaient fort satisfaisants. Il y avait aussi des lettres, et enfin le mot maman répété deux fois par ligne dans toute la longueur d’une page.

« Tu vas me montrer, dit Ambroise un peu piqué de ce qu’elle en savait plus que lui. Je te rattraperai bientôt, tu peux y compter… »

Il s’arrêta en voyant les yeux de la petite se remplir de larmes.

« Oh ! Ambroise ! murmura-t-elle doucement, c’est pour toi que j’ai appris !

— Oh ! comme je suis méchant ! s’écria-t-il en frappant du pied, après un instant de réflexion.