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le violoneux de la sapinière.

suis occupée ! Le matin, le ménage ; mes ouailles à mener paître ; pendant qu’elles broutent, je cueille mes osiers et mes fleurs, et je fais mes corbeilles ; quand j’ai rentré mes bêtes, je vais porter ma marchandise dans les maisons ; je retourne à mes bêtes, et le soir je fais mes coutures. Mme Amiaud m’a montré plusieurs espèces de coutures, elle dit que je suis adroite : elle va m’apprendre à broder, et il paraît que je gagnerai plus à broder qu’à tricoter. Je suis bien contente, va ! j’ai tout mon argent dans un vieux bas, je le compte tous les dimanches, et j’aurai de quoi acheter une jupe et un juste[1] pour la fête de la mère, qui est à la Saint-Michel. Mme Amiaud m’achètera l’étoffe à la ville, elle me taillera l’ouvrage, et je le coudrai. Pauvre mère ! sera-t-elle heureuse ! et puis elle aura chaud cet hiver avec une bonne robe neuve. Elle n’en a pas eu depuis que le père est mort !

— Tiens, tu aimes ta mère comme j’aime mon père, lui dit Ambroise en lui serrant les deux mains de toute sa force ; et je t’aime pour cela. Mais j’ai honte de voir combien tu es meilleure que moi ; dans tout ce que j’ai fait de bien, il y a toujours la moitié pour la gloriole, au lieu que toi, c’est seulement pour le bien.

— Tu en cherches trop long ! Quand les gens se conduisent bien, moi je trouve qu’on ne doit pas leur demander pourquoi.

— On ne doit pas leur demander pourquoi, non ; mais eux, ils doivent se le demander. Je tâcherai de devenir aussi bon que toi, si je peux. Mais, dis-moi donc, as-tu continué à lire ? Moi je sais lire, à présent. Tout le monde m’a aidé : M. Emmanuel, le bon maître de violon, l’aubergiste chez qui je logeais ; je pourrai t’apprendre. »

Véronique prit un petit air mystérieux.

« Il faut que je travaille à mes corbeilles. Reviendras-tu ce soir ? j’aurai quelque chose à te montrer.

— Oui, oui, je reviendrai. Qu’as-tu donc ? est-ce que tu sais lire tout à fait ?

— Tu verras ! Tiens, épluche-moi mes brins d’osier, j’irai plus vite. »

Et la petite fille se mit à tresser et entrelacer ses brins, entremêlant les blancs, les rouges, les jaunes et les verts ; elle nuançait habilement tout cela, arrondissait le fond, allongeait les côtes, recourbait gracieusement les rebords : ses petits doigts maigres et bruns travaillaient avec l’adresse et la prestesse des pattes d’araignée : Ambroise le lui dit en riant.

  1. Corsage.