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le violoneux de la sapinière.

fièvre : « Mon garçon… mon bon garçon… il joue déjà mieux que moi ! » La fièvre n’avait pas encore quitté le ménétrier ; mais sa femme ne le tourmentait pas trop, et lui tenait compte de l’argent que gagnait Ambroise. Celui-ci lui avait rapporté une bonne somme, car il gagnait autant et plus que son père, et il ne dépensait rien à boire. Le moins content de la famille était Louis, dont personne ne s’occupait plus, et à qui sa mère reprochait déjà de ne pas apporter à la maison d’argent monnayé, comme son petit frère, qui avait pourtant la tête et les épaules de moins que lui. Il n’accueillit donc pas trop bien Ambroise ; mais celui-ci, rendu généreux par son triomphe, se le concilia par le don magnifique d’un beau couteau à quatre lames, avec un manche en corne de cerf.

Le lendemain de son arrivée, Ambroise se rendit dès l’aube à la grotte. Il savait bien que Véronique ne pouvait pas y être encore, et qu’il l’aurait vue plus tôt en allant chez elle lui aider à faire le ménage de sa mère. Mais il tenait à la revoir là, dans cette grotte, et à y jouer du violon pour elle ; et il étudia en l’attendant.

Quand elle l’entendit du bout du pré, elle se mit à courir et arriva près de lui, tout essoufflée, les joues et les yeux brillants.

« Te voilà donc ! je t’attends depuis deux heures, lui dit Ambroise. Écoute, voilà un air que je n’ai encore joué à personne : je l’ai gardé pour toi, c’est ma manière de te dire bonjour.

— Comme tu as appris depuis que tu es parti ! Tu as trouvé quelqu’un qui t’a montré ? Mlle Anne me l’a dit : c’est M. Emmanuel qui a écrit cela à son père ; j’ai été bien heureuse. Moi, j’ai appris bien des choses aussi. Et puis, tu ne sais pas ? je gagne beaucoup d’argent !

— Beaucoup d’argent ! à quoi faire ?

— À faire des corbeilles et des bouquets. Tu sais bien, Mme Amiaud, la bonne maîtresse d’école ? elle a montré à des dames la corbeille que je lui avais faite ; les dames ont voulu en avoir de pareilles, et elles me les ont payées. J’en fais beaucoup à présent, et pour qu’elles soient plus solides, je les fais avec de l’osier, et je mets au fond une écuelle de terre, qui est cachée dans la mousse, et que je remplis d’eau pour conserver les fleurs fraîches. Toutes les dames de Mareuil ont voulu de mes corbeilles, et puis après, beaucoup de dames de Chaillé, de Saint-Florent et des châteaux des environs : et quand les fleurs sont fanées, on me dit d’en cueillir d’autres et de venir les arranger, parce qu’on trouve que je les arrange bien. Tu penses que je