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le violoneux de la sapinière.

blait le collégien de questions auxquelles celui-ci ne savait souvent que répondre. Ambroise s’en étonnait et lui disait timidement : « Je croyais qu’on apprenait cela au lycée. » Emmanuel assurait que non ; mais il sentait bien que c’était sa faute si on ne le lui avait pas appris ; et à ses heures de loisir il cherchait dans ses livres de quoi répondre aux questions du petit paysan. Cela lui profitait à lui-même. Après la Saint-Pierre, les deux enfants se séparèrent amis, et Ambroise fut chargé de porter à Anne, de la part d’Emmanuel, deux souris blanches que celui-ci avait pris la peine d’apprivoiser tout exprès pour elle.

Anne fut enchantée des jolies petites bêtes, et plus enchantée encore d’apprendre qu’Emmanuel ne se faisait plus punir. Elle fit entrer Ambroise dans le salon pour lui jouer quatre airs de sa méthode qu’elle savait par cœur, et elle le pria de lui accompagner la valse du Duc de Reichstadt. Elle lui raconta qu’elle devenait très-savante ; que papa n’était plus si triste, parce qu’elle lui jouait de jolis airs, et qu’elle lui répétait le soir les belles choses qu’elle avait apprises dans la journée ; et qu’elle espérait devenir un jour pareille à sa maman, qui causait avec lui de musique, de tableaux, de pays qui ne sont pas comme le nôtre, et de tout ce qu’on trouve dans les livres. C’était ainsi qu’il fallait faire pour rendre heureux les hommes d’esprit, et son papa était certainement un homme de beaucoup d’esprit : on le voyait bien quand il causait avec Mlle Léonide. Aussi Anne aurait bien voulu que Mlle Léonide vînt demeurer chez eux, comme son papa le lui proposait souvent quand elle se plaignait des gens du Tablier, qui ne voulaient pas lui permettre d’apprendre à lire à leurs enfants. Elle ne s’y était pas encore décidée, mais Anne espérait bien qu’elle finirait par là. La chère petite était bien plus gaie qu’autrefois : en cherchant le moyen de rendre son père heureux, elle avait trouvé celui d’être heureuse elle-même.

Quant à Véronique, Ambroise était sûr de la trouver à la grotte : en effet, elle n’avait pas manqué de s’y rendre dès qu’elle l’avait su de retour. Il n’y vint pas le premier jour : sa mère l’accablait des témoignages de sa tendresse et de son orgueil ; elle avait attiré chez elle tous les voisins et toutes les voisines, et il fallut qu’Ambroise fît entendre ses airs nouveaux et subît les admirations de tout ce monde et les embrassades de la Tarnaude. Il en était plus fier que touché ; mais il se sentait le cœur tout remué quand, du lit où il était couché, son père disait d’une pauvre voix tremblante de