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le violoneux de la sapinière.

il s’appelle M. Bardio. On lui joue quelquefois des tours au lycée, mais on l’aime tout de même. »

M. Bardio avait trouvé son échalier, et il arrivait à grandes enjambées. C’était un homme d’une cinquantaine d’années ; il avait un grand front découvert, des cheveux noirs qui grisonnaient, le regard perçant, l’air vif et bon. Il caressa la tête d’Ambroise comme il eût fait à un épagneul.

« Comme çà, mon garçon, tu comprends que tu n’es pas fort sur le violon, et tu voudrais apprendre ce que tu ne sais pas ? C’est bien cela ! Je t’ai écouté tout à l’heure. Tu ne sais rien, je te le répète : mais tu as de quoi apprendre. Qui est-ce qui t’a montré ?

— Personne, monsieur ! dit Ambroise tout penaud d’entendre constater qu’il ne savait rien par quelqu’un qui devait s’y connaître.

— Comment, personne ? pas possible ! Voyons, Arnaudeau, puisque vous connaissez ce garçon-là, expliquez-moi un peu ce qu’il veut dire. »

Emmanuel l’expliqua : la petite Anne lui avait communiqué son enthousiasme pour les études solitaires d’Ambroise. Il raconta tout : et quand il fut arrivé à la bataille, Ambroise reprit la parole pour célébrer la vaillance de « ce bon M. Emmanuel ». M. Bardio écoutait, souriant doucement. Il n’interrompit qu’une seule fois, au récit des efforts de Véronique pour apprendre à lire afin de faire comprendre à Ambroise le grimoire du cahier vert :

« La brave petite fille ! s’écria-t-il. J’aimerais à lui apprendre la musique. »

Quand l’histoire fut finie :

« Bien, mon garçon ; très-bien ! Je me charge de toi. Es-tu ici pour quelque temps ?

— Pour jusqu’à la Saint-Pierre. Je loge à la ville, et je suis engagé pour tous les préveils des environs. Après cela je retournerai au pays ; et puis je reviendrai un peu, quand les moissons seront rentrées, pour faire danser à plusieurs noces qui se feront à ce moment-là : je suis déjà retenu.

— Très-bien ! Voyons ton violon… vieux violon… assez bon instrument… donne un peu ton archet.

— Oh ! comme il a de beaux sons ! murmura Ambroise en écoutant le beau chant large et pénétrant que M. Bardio tirait de son violon.

— Je t’apprendrai à le faire chanter comme cela. Tiens, prends-le…