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le violoneux de la sapinière.

« Hé ! bonjour, Ambroise ! Tu n’as pas besoin de mes poings aujourd’hui ? »

Le petit violoneux se retourna étonné.

« Bonjour, monsieur Emmanuel ! Merci bien : on ne se bat pas aujourd’hui, et j’aime autant ça. Vous êtes donc venu pour vous promener par ici ?

— Mais oui, comme tu vois. Toi, tu n’es pas venu pour te promener, ça se voit aussi. Comme tu as chaud ! Viens avec moi ; il y a par ici une femme qui a du coco tout frais, tu vas trinquer avec moi. On ne danse pas tout de suite ?

— Oh, non ! On va attendre un peu que le soleil ait baissé. Il fait chaud comme à la mi-août. »

Les deux jeunes garçons allèrent s’asseoir sur un tertre de gazon, à l’abri d’une haie d’aubépine, en compagnie de deux verres et d’une carafe de coco. Puis le cri : Aux gâteaux de Bournezeau ! ayant retenti aux environs, Emmanuel appela la marchande et régala son compagnon de ces gâteaux parsemés de grains d’anis. Ambroise riait ; il était fier d’être assis auprès d’un collégien en képi et en tunique.

« J’espère que tu as fait du chemin ! lui disait Emmanuel. Te voilà loin de la Sapinière ! Et tu cours le pays comme cela tout seul ?

— Mais oui : avec mon violon je suis bien reçu partout. Je gagne autant que mon père, plus même, et la mère commence à trouver que je vaux quelque chose. J’apprends des airs nouveaux, que les autres ménétriers ne savent pas : je travaille, allez ! Si je peux mettre un peu d’argent de côté, je tâcherai d’aller dans une ville où il y aura un maître de violon et je le payerai pour qu’il m’apprenne.

— Parbleu, mon garçon, tu n’auras pas loin à aller, et tu n’auras pas besoin de payer ! dit tout à coup une grosse voix de l’autre côté de la haie. Attends-moi ; le temps de trouver l’échalier, et je suis à toi. »

Et celui qui avait parlé se mit à marcher vivement le long de la haie qui le séparait des deux enfants.

« Qu’est-ce que c’est que ce monsieur-là ? demanda Ambroise tout ahuri à Emmanuel qui avait ôté respectueusement son képi.

— C’est le maître de musique du lycée : un bien brave homme, mais un fameux original. Il passe sa vie à chercher à faire des artistes, et il se passerait de dîner plutôt que de musique. C’est un Italien :