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le violoneux de la sapinière.

comprendre quelque chose à ce qu’il avait à faire. Il chercha des mots, il en devina d’autres, et finit par arriver à faire des phrases qui avaient un sens passable ; ses souvenirs l’aidaient, il lui semblait entendre la voix de la petite Anne lui lisant les hauts faits du vaillant Hector et les plaintes d’Andromaque. Le professeur s’étonnait de son application ; il vint même une fois regarder par-dessus son épaule ce qui l’occupait si fort, croyant surprendre quelque lecture interdite. Emmanuel ne s’en aperçut pas ; il remit sa composition sans y entendre malice. Il fut très-gai le reste de la journée, et passa toute la récréation sans chercher querelle à personne.

Le lendemain, avant la classe, le professeur l’appela et l’interrogea sévèrement pour savoir de quoi il s’était aidé pour faire une composition qui ressemblait si peu à ses devoirs ordinaires. Emmanuel n’avait aucune prétention aux bonnes places, et peu lui importait d’être mis à la queue ; il n’inventa point de mensonge et dit tout bonnement les choses comme elles étaient. Le professeur le loua, l’encouragea, et lui promit, s’il essayait de travailler, de le prendre à part pour l’aider à comprendre ce grimoire qui faisait son malheur depuis tant d’années. Grâce à la petite Anne, Emmanuel fut quinzième, — il était ordinairement trentième sur trente, — et il ne fut pas privé de sortie à la Pentecôte. Il n’alla point à Chaillé : son père était absent et sa mère ne tenait pas à le faire venir ; mais il fut très-bien reçu par la famille d’un camarade, et jouit de ses congés en toute liberté. Le premier jour, il pêcha à la ligne dans l’Yon, où il y avait encore un peu d’eau ; et le second jour, il alla au préveil des Fontenelles.

Le préveil des Fontenelles ne ressemble pas tout à fait aux autres préveils de la Vendée, où l’on ne va que pour danser, manger, boire et se réjouir. Les filles y vont surtout pour sauter le ruisseau qui s’échappe de la fontaine. On le saute d’abord en avant, et puis en arrière, à reculons, le tout à pieds joints ; et si l’on y réussit, on ne manque pas de se marier dans l’année. Mais souvent au second saut on retombe lourdement dans le lit du ruisseau, et alors, quels éclats de rire ! de celles qui n’ont pas encore sauté, de celles qui ont réussi le saut, et surtout de celles qui ont déjà les pieds mouillés ! On en prend vite son parti d’ailleurs, et l’on va danser dans la grande allée de chênes, sur l’herbe fraîchement coupée, avec un dôme de verdure sur la tête : les souliers sont bientôt secs. Pendant ce temps-là, depuis la route poudreuse qui mène à la ville jusqu’à l’Olivière,