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le violoneux de la sapinière.

prenant son archet, il exécuta triomphalement la valse du Duc de Reichstadt.

« À présent, dit-il, nous sommes sauvés. Tu vas retourner voir la maîtresse d’école, jusqu’à ce que tu saches lire tout à fait ; tu m’apprendras à mesure ce qu’elle t’aura montré, et nous saurons bientôt lire tous les deux. Alors je comprendrai le grand cahier vert, et je deviendrai le plus fort ménétrier du pays. Je gagnerai beaucoup d’argent ; j’en donnerai à la mère, pour qu’elle laisse le père tranquille, et qu’elle voie que j’en vaux bien un autre, quoique je ne sois pas grand. Et puis je me marierai avec toi ; ta mère demeurera avec nous, elle n’ira plus en journée, et elle bercera nos petits enfants. Tu auras de la dentelle à ta coiffe du dimanche, et tu prendras une bergère pour garder nos ouailles, car nous en aurons beaucoup. Et tous nos enfants apprendront à lire et à jouer du violon…

— En attendant, il faut que je rentre mes bêtes, que je tire de l’eau, que je casse du bois, et que je fasse le souper. Bonsoir, Ambroise !

— Bonsoir, Véronique !… Ah ! mais non ; je vais aller avec toi pour t’aider à faire ton ouvrage ; puisque tu travailles pour moi, je ne peux pas rester là comme un fainéant pendant que tu as toute la peine. J’irai tous les jours te tirer ton eau et te casser ton bois ; ça fait que tu auras plus de temps pour aller chez la maîtresse d’école. »

Grâce à cette petite association de secours mutuels, Véronique sut assez lire au bout d’un mois pour faire comprendre à Ambroise les explications de son livre, qu’il saisit très-vite, et qui le mirent bientôt en état de lire la musique écrite. S’il rencontrait quelque grande difficulté, il guettait Mlle Léonide quand elle venait chez le docteur, et il allait la prier de jouer son air. Elle s’intéressait au petit violoneux, et lui apprit un peu de musique ; mais pour ce qui était du violon, il était bien obligé de se tirer d’affaire tout seul.

Pendant ce temps, le printemps s’avançait ; Emmanuel était retourné au lycée et Sylvanie à son couvent, et la bonne petite Anne travaillait de son mieux sous la direction de Mlle Léonide, qui venait presque tous les jours. Pélagie avait fini par faire sa paix avec Diablotin, qui n’était pas aussi méchant qu’il en avait l’air, et elle avait grand soin de lui, lui donnait la meilleure place à l’écurie et ne lui ménageait pas l’avoine. Qui m’aime, aime mon chien ; elle était très-reconnaissante à la maîtresse, et par suite au cheval, de la course