Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
107
le violoneux de la sapinière.

Véronique rougit jusqu’aux oreilles ; elle mit la main dans la poche de son tablier et en retira le vieil alphabet.

« Si vous vouliez me montrer à lire cette page-là ! » murmura-t-elle en indiquant la page où s’arrêtait la science de Marie.

L’institutrice regarda l’enfant, et les larmes lui vinrent aux yeux.

« Pauvre petite ! tu voudrais donc bien savoir lire ? Pourquoi tes parents ne t’envoient-ils pas à l’école ?

— Oh ! c’est bon pour les riches ; la mère est veuve, elle a bien de la peine à gagner notre vie, il faut que je travaille pour l’aider. Et puis je ne suis pas d’ici ; nous demeurons à Pied-Doré, c’est loin !

— Allons, entre chez moi. Est-ce que tu sais tes lettres ? — Oui, mes lettres, et puis les deux pages d’après.

— Qui est-ce qui te les a apprises ?

— Je suis venue écouter sous la fenêtre quand vous faisiez l’école… »

Mme Amiaud embrassa l’enfant.

« Tu n’auras plus besoin de rester dehors. Je vais te donner une leçon tout de suite, et je t’en donnerai d’autres toutes les fois que tu auras le temps de venir me voir, le soir, après la classe, après souper, n’importe quand. Tu me payeras en bouquets, puisque tu sais si bien les faire. »

La leçon dura longtemps ; Véronique revint le lendemain, le surlendemain et tous les jours de la semaine. Ambroise était retenu pour des préveils et des noces jusqu’au dimanche suivant, et Véronique voulait, quand il reviendrait le lundi à la grotte, lui dire avec orgueil : « Va chercher ton grand livre ! je saurai lire dedans. »

Ce n’était pas tout à fait vrai, quoiqu’elle eût fait des progrès surprenants ; mais elle en savait déjà assez pour que le petit violoneux fut émerveillé quand elle lui nomma une à une toutes les lettres de son cahier et qu’elle sut même reconnaître un bon nombre de mots. Ambroise se sentit soulagé subitement de la tristesse qui l’écrasait depuis qu’il possédait cette malheureuse méthode de violon dont il ne pouvait profiter. Il se vit au bout de ses peines, et en devint comme fou de joie. Il dansa, chanta, cria ; il embrassa Véronique ; il embrassa Turlure, qui était accouru au bruit pour voir s’il n’arrivait pas de mal à sa petite maîtresse ; il embrassa son violon, et enfin,