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le violoneux de la sapinière.

et, tapie contre la fenêtre de l’école, les yeux fixés sur le tableau de lecture, elle écoutait et regardait, ne perdant pas un mot de la leçon.

Elle guettait ensuite Marie à la sortie de l’école, et tâchait d’obtenir d’elle quelques conseils ; mais elle s’aperçut bien vite que Marie n’avait plus rien à lui apprendre. Il fallait arriver à lire des mots entiers, pourtant ! Comment faire ? À force d’y songer, elle finit par accueillir une idée bien audacieuse. Elle n’aurait pas mendié un sou, à peine un morceau de pain, et elle se décida à mendier un peu d’instruction ; il lui semblait qu’il n’y avait pas de honte à cela. Elle avait bien vu le visage de Mme Amiaud et lui avait trouvé une physionomie encourageante. Aussi, le dimanche d’après la Quasimodo, elle mit ses vêtements les plus propres, lissa bien ses cheveux sous sa coiffe blanche, et partit pour Mareuil, quoique ce ne fût pas jour d’école.

Elle fut longtemps en route ; elle choisissait les joncs les plus verts, les fleurs les plus fraîches ; tout ce qui lui semblait joli, mousses couleur d’émeraude, lichens gris à frange blanche, si gracieusement chiffonnés, baies rouges survivant à l’hiver, feuilles mortes réduites par les insectes à l’état de dentelle, elle le prenait et l’emportait dans son tablier. Quand sa récolte fut assez riche, elle s’assit et tressa une corbeille, bien plus grande, bien plus belle que la première ; elle y plaça tout son butin et sourit. « Elle sera contente ! » se dit-elle.

Elle arrivait près de l’école, quand elle aperçut la maîtresse qui sortait de chez elle. Véronique tremblait de tous ses membres ; elle eut pourtant le courage de barrer le chemin à Mme Amiaud et de lui présenter sa corbeille en lui disant bien bas : « Madame… c’est moi qui suis Véronique…

— Ah ! c’est toi qui es Véronique ! répondit la maîtresse d’école. Tu fais de très-jolies corbeilles, mon enfant, et tu y arranges très-bien les fleurs. Celle-ci est encore plus belle que celle de l’autre jour.

— C’est pour vous ! dit l’enfant en la lui mettant dans les mains.

— Pour moi ! reprit Mme Amiaud étonnée. Mais tu ne me connais pas, ma petite ! Ah ! je vois ce que c’est : Marie t’aura dit que j’avais admiré ton ouvrage, l’autre jour, et tu as voulu me montrer que tu pouvais faire encore mieux. Eh bien, je la prends, ta corbeille. Que veux-tu que je te donne pour ta peine ? »