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le violoneux de la sapinière.

« Tu ne connais donc pas les notes ? lui demanda-t-elle.

— Non, pas du tout ! répondit l’enfant confus, en baissant la tête.

— Pauvre petit ! Allons, ne sois pas honteux, tu n’en as que plus de mérite, d’être arrivé à jouer des airs sans savoir la musique. Anne, va donc chercher une vieille méthode de violon que j’ai trouvée l’autre jour dans le grenier en rangeant la musique : elle est sur le dessus de la pile. Tu la prêteras à Ambroise ; il y apprendra de quoi dépasser tous les ménétriers du pays. »

Anne s’élança hors du salon, et l’on entendit ses petits pas qui couraient sur l’escalier. Au bout d’un instant, elle revint chargée d’un vieux cahier relié en vert, qu’elle battait d’une main en soufflant dessus pour en enlever la poussière. Ambroise le prit en rougissant de bonheur ; il n’osa pas l’ouvrir pour y regarder, mais il le mit précieusement sous son bras, remercia, et s’en alla bien vite avec son trésor.

Il marcha lestement jusqu’à la grotte ; là, il s’assit sur une pierre, posa le cahier sur ses genoux, et se recueillit un instant avant de l’ouvrir. Le cœur lui battait. Qu’allait-il trouver là-dedans ? Il ne s’en faisait aucune idée, mais il ne doutait pas que ce livre magique ne fût capable de faire de lui le premier ménétrier du pays : il lui semblait qu’un nouveau soleil allait l’éclairer, qu’il verrait ce qu’il n’avait pas encore vu, qu’il comprendrait ce qu’il n’avait pas encore compris.

Ambroise donc, tout tremblant, ouvrit sa méthode de violon. Sur la première page était représenté un jeune artiste, le violon sous le menton, tenant son archet d’une main et le manche de son instrument de l’autre, le corps droit, un pied un peu avancé, selon les vrais principes de l’art. L’enfant rayonnait de joie.

« Je ne tiens pas mon violon comme cela ! se dit-il. Je vais essayer tout de suite de faire comme lui : nous verrons si cela ira mieux. »

Et il reprit son instrument, et s’appliqua à copier la pose de la gravure, Il obtint un son beaucoup meilleur que de coutume, quoiqu’il eût un peu de peine à ne pas s’écarter de son modèle. Il étudia quelque temps, de plus en plus content du résultat, et enfin, fatigué, il se rassit, reprit son cahier et tourna la page. Hélas ! son bonheur finit là. Plus d’images ! rien que des lettres, des mots, des lignes, des points noirs, une foule de signes inconnus. Les mots en donnaient l’explication, sans doute : mais il aurait fallu comprendre ce que disaient les mots, et le pauvre Ambroise ne savait pas lire ! Il ne savait pas lire ! il ne pourrait jamais rien apprendre ! il ne serait jamais