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le violoneux de la sapinière.

étiez dans le salon, et je suis entré par le chemin le plus court : voilà ! Je ne voulais pas vous faire peur : mais c’est passé, n’est-ce pas ?

— Oh ! oui, répondit la petite en riant, je suis rassurée, et vous aussi, mademoiselle ?

— Certainement ! dit Mlle Léonide, quoique nous ayons affaire à un rude batailleur, à ce qu’on m’a conté. À propos, monsieur le brave champion des faibles, je croyais qu’on vous avait enfermé pour vous récompenser de vos exploits. Comment donc êtes-vous ici ?

— C’est que ma mère et Sylvanie sont parties ce matin pour passer le reste des vacances chez notre cousine, à Nieuil-le-Dolent ; il y aura du monde, des soirées, de la danse, de la musique. On ne m’a pas emmené, bien entendu ; mais dès qu’elles ont été parties, papa est venu me délivrer. J’ai déjeuné avec lui, et Martuche a fait une galette délicieuse pour me dédommager de mon pain sec d’hier. Je vous en apporte un morceau, Anne ; tenez, elle est encore chaude. Et si vous voulez venir avec moi quand vous aurez fini vos leçons, vous me mènerez voir si le petit violoneux est guéri de la bataille.

— C’est cela ! je vais bien travailler, et nous irons après. »

Et Anne regrimpa sur son tabouret et reprit ses exercices. Quand la leçon fut finie :

« Est-ce bien, mademoiselle ? me donnerez-vous ma petite récompense ? » demanda-t-elle à Mlle Léonide.

Celle-ci sourit, embrassa l’enfant et prit sa place au piano. Elle jouait, après chaque leçon, plusieurs des airs de la méthode, pour amuser Anne et lui donner envie de les apprendre. Emmanuel, qui faisait profession de détester les morceaux longs d’une aune, comme il disait, que jouait Sylvanie, s’approcha pour écouter ceux de Mlle Léonide, et y prit plaisir. Et comme les deux enfants disaient : « Encore ! encore ! elle continua à feuilleter le cahier en jouant tous les morceaux. La valse du duc de Reichstadt eut surtout un grand succès. Emmanuel, se rappelant le peu de latin qu’il savait, cria bis ! et, enlevant Anne dans ses bras, se mit à tourner tout autour de la chambre. Je ne crois pas qu’il valsât bien en mesure ; mais il allait très-vite, et la petite riait de tout son cœur. Mlle Léonide, qui riait aussi, joua la valse plusieurs fois de suite : ni elle, ni les enfants ne s’aperçurent de quelques notes timides qui s’essayaient sous la fenêtre. Aussi furent-ils bien étonnés, quand Emmanuel essoufflé se laissa tomber sur le canapé avec sa danseuse, et que l’orchestre s’ar-