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le violoneux de la sapinière.

force, et qu’il règne puissamment sur les Troyens ; que l’on dise un jour à son retour des combats : « Oui, ce héros surpasse encore son père » ; qu’il rapporte les dépouilles sanglantes de son ennemi vaincu, et qu’en son âme sa mère soit pénétrée de joie. »

— À la bonne heure ! s’écria Emmanuel, voilà la vraie prière d’un soldat. Et après, Anne !

« Après sa prière, il remet l’enfant entre les mains de son épouse chérie, qui l’attire sur son sein et sourit en pleurant. Le héros, ému d’une tendre pitié, caresse de sa forte main la douce Andromaque, et lui dit :

« Amie, fais trêve à ces alarmes. La Parque seule, et non le bras d’un guerrier, me précipitera chez Pluton. Crois-moi, personne, parmi les humains, lâche ou vaillant, dès qu’il a vu le jour, ne peut fuir sa destinée. Retourne dans mon palais : prends soin des travaux de ton sexe, de la toile, du fuseau ; distribue à tes femmes leur tâche. Aux hommes nés dans Ilion, et surtout à moi, sont réservés les périls de la guerre. »

» Il dit, et reprend son casque à flottante crinière. Son épouse chérie, en le suivant de ses yeux baignés de larmes, retourne au palais d’Hector. Bientôt elle en franchit les portes superbes, rejoint, dans les appartements intérieurs, ses nombreuses suivantes, et leur arrache des sanglots. Ainsi, dans la demeure d’Hector plein de vie, elles le pleurent amèrement : car elles n’espèrent pas qu’il revienne de ce terrible combat ; elles n’espèrent pas qu’il échappe à la fureur, aux bras des Argiens. »

— Eh bien ! je n’ai jamais rien lu de si beau ! Est-ce qu’il a été tué, Anne ? Ce n’est pas possible : je suis sûr qu’il est revenu victorieux. Avez-vous lu plus loin dans le livre ?

— Oui, il est revenu, et il y a encore eu bien des batailles ; et puis il a fini par être tué : les Grecs s’étaient mis trop contre lui.

— Les lâches ! cria Emmanuel en grinçant des dents. Je déteste ces Grecs !

— Oh ! ils sont bien méchants, allez ! Il y en a un qui perce les pieds du pauvre Hector après qu’on l’a tué, qui les enfile avec une courroie, et qui le traîne après son char qu’il a lancé au galop, sans vouloir permettre à ses parents de l’enterrer. À la fin pourtant, il le rend à son père, qui va jusque dans sa tente pour lui demander le corps d’Hector. Et la pauvre Andromaque a tant de chagrin ! cela fait pleurer : vous verrez. Il faut que je m’en aille, il est tard : j’ai mis