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des hommes encore adonnés aux misères de la vie civilisée eussent probablement appelée un salon. C’était, comme son frère aîné, un homme de haute taille et fort bien fait ; mais sa figure osseuse, sombre et ravagée, n’avait pas la moindre ressemblance avec les traits réguliers, ouverts et hâlés de notre brave capitaine. Personne, les voyant à côté l’un de l’autre, n’aurait deviné qu’ils étaient frères, tant leur physionomie différait, aussi bien que leurs traits. Les souffrances de cœur qu’il avait endurées dans son jeune âge, la vie errante, dissipée, abandonnée, qu’il avait menée pendant sa maturité, les désappointements, les colères, l’épuisement de ses dernières années, avaient si bien fatigué, si complètement usé Andrew Treverton, qu’on aurait pu lui donner au moins vingt ans de plus qu’à son frère. Avec ses cheveux incultes, sa figure peu lavée, sa barbe grise aux flocons emmêlés, et la vieille robe de chambre en flanelle, sale et rapiécée, qui pendait autour de lui comme un sac informe, ce descendant d’une riche et ancienne famille avait tout l’air d’être né dans une maison de travail, et d’exercer, pour tout métier, celui des marchands de vieux habits.

L’heure du déjeuner avait sonné pour M. Treverton ; c’est-à-dire que l’heure était venue où il se sentait assez affamé pour songer à manger quelque chose. Sur la cheminée, à cette même place qu’eût occupée une glace dans toute maison à peu près meublée, un épais morceau de lard pendait dans le cottage de Timon de Londres. Sur la table de bois blanc placée près du feu, un énorme pain, grossier et brun. Dans un coin de la pièce, un baril de bière ; au-dessus, deux pots d’étain bosselés, pendus à des clous fichés dans le mur. Au-dessous de la grille à feu gisait un vieux gril enfumé, abandonné là, selon toute apparence, après avoir servi, par quelqu’un qui n’avait pas pris la peine de le remettre en place. M. Treverton sortit de la poche de sa robe de chambre un couteau à ressort mal essuyé, coupa une tranche de lard, établit, tant bien que mal, le gril sur le feu, et se mit à faire cuire son déjeuner. Il venait justement de retourner le lard, à point d’un côté, quand la porte s’ouvrit, et Shrowl entra, la pipe à la bouche, attiré justement par la même préoccupation culinaire à laquelle son maître avait obéi.

Shrowl était un petit homme, d’un embonpoint flasque, et complètement chauve, sauf une rangée de cheveux gris de fer, qui se hérissaient autour de son occiput comme les pointes