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sation définitive. Ce que son excentricité avait de meilleur prit la forme de l’amitié. Sans trop savoir pourquoi, il s’attacha passionnément à un de ses camarades d’école ; un garçon qui, dans la cour, ne lui accordait pas beaucoup d’égard, et, dans la classe, ne se fatiguait point à l’aider. Sans que personne pût donner de ce phénomène une explication quelconque, il devint notoire que l’argent de poche d’Andrew était toujours au service de ce camarade ; qu’Andrew le suivait partout à la piste ; et que, maintes et maintes fois, Andrew prenait à son compte les punitions corporelles ou autres qu’avait méritées son ami. Lorsque cet ami, quelques années plus tard, fut envoyé dans un collége, Andrew sollicita d’y être envoyé en même temps, et là, plus que jamais, s’attacha au camarade si étrangement choisi, qu’il avait adopté dès l’école. Un pareil dévouement aurait touché un cœur doué de la moindre générosité ; il ne fit aucune impression sur l’âme naturellement basse de l’ami d’Andrew. Après trois années d’intimité au collége, intimité tout égoïsme d’une part, de l’autre tout sacrifice, le dénoûment arriva, et les yeux d’Andrew furent cruellement dessillés. Lorsque sa bourse fut restée vide aux mains de ce faux ami, lorsqu’il eut de tous côtés engagé sa signature pour lui venir en aide, celui que son affection avait adopté comme frère, le héros de sa candide admiration, l’abandonna tout à coup aux embarras, au ridicule, à l’isolement, sans un seul mot qui attestât le moindre remords, une simple parole d’adieu.

Andrew rentra chez son père, aigri dès le début de la vie ; et là il fut abreuvé de reproches à l’occasion de ces mêmes dettes contractés pour celui qui l’avait trompé sans pudeur, outragé sans scrupule. Il partit ensuite, disgracié, avec une maigre annuité, pour aller voyager loin du toit paternel. Les voyages se prolongèrent, et finirent, comme ils font souvent, par une expatriation en règle. La vie qu’il mena, les gens qu’il fréquenta pendant sa longue résidence hors du pays, lui firent un mal irréparable. Quand il revint en Angleterre, ce fut pour y donner le spectacle le plus affligeant, celui d’un homme qui ne croit plus à rien. À ce moment de sa vie, une seule bonne chance d’avenir lui restait, dans l’influence qu’auraient pu acquérir sur lui l’exemple et les conseils de son frère aîné. Ils avaient, en effet, renoué leurs liens d’enfance, lorsque la dispute amenée par le mariage du capitaine Treverton vint tout à coup les rompre à jamais. Dès cet instant, Andrew fut