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diverses requêtes, et continua son histoire, prenant, à son insu, le ton et les façons d’un père en bonne humeur, qui cherche de son mieux à calmer les inquiétudes d’un enfant gâté.

« Je vous disais donc, reprit-il, que M. Frankland l’aîné et le capitaine Treverton vivaient ici en proches et bons voisins. Dès le début de leurs relations, le premier apprit du second la mise en vente de Porthgenna-Tower. Aussitôt le vieux Frankland, sans montrer le moins du monde qu’il eût intention de l’acheter, s’enquit assez curieusement de tout ce qui concernait ce domaine. Bientôt après, le capitaine eut un commandement et s’embarqua. Pendant son absence, le vieux Frankland, parti en secret pour le Cornouailles, alla examiner la localité, et vérifier par lui-même, en s’adressant aux personnes chargées du domaine, ce qu’il y avait à dire pour et contre. Au retour, il n’en ouvrit la bouche à personne, et laissa revenir le capitaine Treverton. Alors, un beau matin, le vieux gentleman aborda la question, carrément et paisiblement selon sa coutume :

« Treverton, dit-il au capitaine, si vous voulez vendre Porthgenna-Tower au prix que vous avez donné pour en avoir la surenchère, écrivez à votre avoué qu’il porte au mien les titres de propriété. Il en pourra toucher le prix sans délai. »

Le capitaine fut naturellement un peu ébahi d’une proposition pareille, ainsi faite à brûle-pourpoint ; mais elle n’avait pas de quoi surprendre les gens qui, comme moi, connaissaient le vieux Frankland. Sa fortune s’était faite dans le commerce, et il avait la faiblesse de n’avouer qu’avec peine ce fait en lui-même si honorable. À la vérité, ses ancêtres avaient été jadis des propriétaires terriens d’une assez grande importance, avant les guerres civiles ; et la grande ambition du vieux gentleman était de fondre à jamais l’ex-négociant dans le grand seigneur quasi féodal ; son vœu le plus cher, de léguer à son fils un vaste domaine, le titre de squire, et l’influence de comté qui s’y rattache ordinairement. La moitié de sa fortune était, in petto, réservée à cet emploi ; mais, dans un grand comté agricole, comme est le nôtre, la moitié de sa fortune n’eût pas suffi pour acquérir un domaine comme il le rêvait. Les baux sont élevés chez nous, et la terre coûte tout ce qu’elle peut valoir. Un bien aussi étendu que celui de Porthgenna, s’il était situé en ces parages, vaudrait au moins