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avait jamais été substitué, comme vous le savez peut-être… Le capitaine ne devait donc rencontrer aucune difficulté pour s’en défaire, sauf pourtant celle de trouver un acquéreur.

— Et pourquoi pas son frère ? demanda M. Phippen. Pourquoi pas notre original ami, Andrew Treverton ?

— Ne l’appelez pas mon ami, dit le ministre… Un misérable avare, sans dignité, cynique, égoïste… Oh ! Phippen, vous avez beau secouer la tête et faire la grimace… Je connais aussi bien que vous les premières années d’Andrew Treverton… Je sais qu’il fut traité avec la plus basse ingratitude par un ami de collége qui se fit prêter tout ce qu’il avait, et finit par le dépouiller de la manière la plus honteuse… Je sais parfaitement tout cela. Mais un exemple d’ingratitude ne justifie pas l’homme qui s’en prévaut pour s’isoler de la société, se soustraire à tous ses devoirs, et tenir en mépris ses semblables, comme indignes de la boue qu’ils foulent aux pieds… J’ai, de mes oreilles, entendu ce vieux drôle déclarer tout haut que le plus grand bienfait à souhaiter pour notre génération serait un second Hérode, lequel empêcherait qu’une autre ne lui succédât. Un homme capable de tenir des propos pareils devrait-il obtenir le nom d’ami, de quiconque a le moindre respect pour soi-même ou pour son espèce ?…

— Mon ami, dit M. Phippen, prenant le bras du ministre et baissant mystérieusement la voix… Mon cher, mon vénérable ami… j’admire votre indignation contre l’homme qui a émis cette maxime, empreinte d’une excessive misanthropie. Mais, je vous confie ceci sous le sceau du secret, il est des heures, surtout le matin, où ma digestion se fait si mal, que je me suis trouvé du même avis que ce grand destructeur, Andrew Treverton. Je me réveillais, la langue rude et sèche comme un morceau de coke… Je me traînais jusqu’à ma glace pour m’y regarder, et il m’est arrivé de dire, en ces heures découragées : « Eh bien, périsse la race humaine, plutôt que d’endurer plus longtemps un pareil supplice ! »

— Bon ! très-bon ! s’écria le ministre, accueillant d’un gros rire fort peu révérencieux la confession de M. Phippen… La première fois que votre langue sera dans ce fâcheux état, avalez un verre de petite bière bien fraîche, et vous souhaiterez après cela tout au moins la conservation de cette portion de la race humaine qui s’est vouée au métier de brasseur. Mais revenons à Porthgenna-Tower, ou je ne viendrai jamais à bout de mon histoire. Lorsque le capitaine Treverton se fut