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J’ai souvent dit à ses parents : « Ôtez-lui ce tabouret, cassez-moi toutes ses loupes, envoyez-le-moi, et je lui apprendrai le saut-de-mouton, le maniement de la crosse, mille choses, encore, bonnes à son âge… » Conseils perdus. Ses parents, qui sans doute le connaissaient mieux que moi, disaient qu’il fallait lui passer ses fantaisies. Les choses allèrent ainsi, sans encombre, pendant quelque temps, jusqu’à ce qu’il fît une longue maladie, selon moi pour n’avoir pas pris assez d’exercice. À peine remis, le voilà aussi assidu que jamais à son atelier d’horlogerie… Tout cela devait mal finir, et le dénoûment approchait. Le rhabillage d’une montre à moi fut à peu près son dernier travail… la voici… elle marche comme une machine à vapeur… Elle n’était pas depuis longtemps rentrée dans mon gousset, lorsque j’appris qu’il ressentait de vives douleurs dans la région postérieure de la tête, et qu’il voyait passer devant ses yeux toutes sortes de taches mouvantes. Je conseillai le vin de Porto libéralement administré, puis des promenades quotidiennes d’environ trois heures, sur le dos d’un poney bien dressé. Au lieu de s’en tenir à mon ordonnance, les parents envoyèrent quérir à Londres un tas de médecins qui le couvrirent d’emplâtres vésicants, et derrière les oreilles, et entre les épaules, et vous l’imbibèrent de mercure, et vous l’emprisonnèrent dans une chambre où le jour n’entrait pas. Aucun résultat. La vue allait empirant, vacillante comme la lumière d’une bougie qui va s’éteindre. Sa mère mourut, heureusement pour elle, pauvre femme ! avant que le désastre fût complet. Son père avait à moitié perdu la tête. Il le menait tantôt aux oculistes de Paris, tantôt aux oculistes de Londres. Tout ce qu’il en obtint fut de savoir que le mal de son fils portait un nom latin des plus longs, et qu’on tenterait vainement une opération. Quelques-uns assuraient que c’était le résultat des longues faiblesses dont ses deux maladies avaient été suivies. D’autres parlaient d’un épanchement apoplectique dans le cerveau. Tous branlaient de la tête quand on leur parlait de ses travaux en horlogerie. Bref, ils le renvoyèrent chez lui bien décidément aveugle, et aveugle il demeurera, le pauvre diable, jusqu’à la fin de ses jours.

— Vous m’émotionnez, cher Chennery… Je vous assure que vous m’émotionnez au plus haut point, dit M. Phippen… plus particulièrement en me parlant de cette théorie sur les longs affaiblissements que les maladies graves peuvent laisser après elles. Mais, mon Dieu, je les ai éprouvés, moi, ces affai-