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lui avaient échangé leurs adieux, je lui ai dit qu’après un pareil acte de faiblesse, je ne pouvais plus espérer son approbation, et que, dès lors, je me ferais scrupule de le retenir auprès de moi. Je l’ai prié, cependant, de juger ma conduite avec une certaine indulgence, puisqu’en somme le point de départ de toute l’aventure était le soin qu’il avait pris de copier le plan de Porthgenna-Tower, sans lequel M. et mistress Frankland n’auraient sans doute jamais découvert la chambre aux Myrtes. Je l’ai félicité d’avoir gagné cinq guinées, en devenant ainsi l’occasion d’une restitution de quarante mille. Et je l’ai finalement gratifié d’une humble révérence qui a failli le rendre fou. Shrowl et moi, nous avons eu ensemble de bonnes prises de bec ; mais il était, d’ordinaire, au pair avec son maître. Aujourd’hui, enfin, je l’ai mis à bas. »

M. Treverton ne demandait pas mieux que de s’étendre, autant que le voudrait M. Nixon, sur cette belle histoire du renvoi de Shrowl. En revanche, toutes les fois que l’avoué entamait la question relative à mistress Frankland, il trouvait un auditeur intraitable… Il n’avait à recevoir aucun message…, il ne voulait prendre aucun engagement pour l’avenir. Tout ce qu’on put tirer de lui sur ses projets ultérieurs, c’est qu’il entendait se défaire de son cottage de Bayswater, et recommencer à voyager en différents pays pour étudier, sur un nouveau plan, la nature humaine ; plan original qui consisterait à rechercher, dans chaque individu, le bien tout comme le mal qui se peut trouver en lui. Cette idée, disait-il, lui était venue du désir qu’il éprouvait de savoir au juste si M. et mistress Frankland étaient, oui ou non, des créatures exceptionnelles, des monstres de désintéressement. Jusqu’à nouvel ordre, il les tiendrait pour tels, et n’attendait de ses voyages aucun résultat fort concluant en faveur d’une théorie optimiste. M. Nixon travailla de son mieux à obtenir quelque message amical dont il pût accompagner la nouvelle du départ projeté ; mais sa plaidoirie n’eut d’autre effet que de lui attirer ce discours d’adieu, accompagné d’un sourire narquois, et qui lui fut adressé à la porte même du jardin :

« Dites à ces deux merveilles vivantes (ainsi s’exprima Timon de Londres) que je puis, au moment où on ne s’y attendra pas, me dégoûter de mes voyages. Il est possible, en ce cas, que je revienne par ici les voir encore une fois, afin d’éprouver, avant de mourir, une sensation différente de celles que m’a toujours procurées notre misérable humanité. »