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qui s’offrait à ses yeux et, dans d’autres circonstances, aurait arrêté sa pensée observatrice, ne fit sur elle la moindre impression. Du moment où la porte fut ouverte, elle ne vit rien que les oreillers du lit, la tête qui reposait sur ces oreillers, et la figure tournée vers elle. Quand elle franchit le seuil, cette figure changea, les paupières s’abaissèrent, et les joues pâles s’animèrent tout à coup d’une brûlante rougeur.

Sa mère avait-elle donc honte de la regarder ?

Ce seul doute qui lui vint chassa loin d’elle, en un instant, toute méfiance d’elle-même, tout l’embarras, toute l’hésitation quant aux paroles à trouver, quant à la conduite à tenir, qui jusqu’alors avaient comme enchaîné ses généreux instincts. Elle courut vers le lit, souleva dans ses bras le pauvre corps amaigri et affaissé, et posa sur sa jeune et tiède poitrine la pauvre tête prématurément vieillie.

« Il était grand temps, ma mère, dit-elle, que je vinsse à mon tour vous soigner. »

Comme ces paroles débordaient de son cœur, elle le sentit se gonfler ; ses yeux aussi débordèrent ; elle ne pouvait plus parler.

« Ne pleurez point ! murmura timidement la voix faible et harmonieuse ; je n’ai pas le droit de vous attirer ici pour vous causer d’aussi pénibles émotions… Ne pleurez pas, ne pleurez pas !…

— Et vous, ne parlez pas ainsi !… Chut ! ma mère, taisez-vous !… Je ne ferai que pleurer si je vous entends me tenir un pareil langage, dit Rosamond… Oublions que nous avons été séparées ; appelez-moi par mon petit nom ; parlez-moi comme je parlerai plus tard à mon enfant, si Dieu m’accorde la grâce de le voir grandir… Dites : « Rosamond, » et surtout, demandez-moi de vous servir en quelque chose. »

Parlant ainsi, elle arrachait, dans son élan passionné, les rubans de son chapeau, et, le jetant sur le siége le plus proche :

« Tenez !… voici, sur la table, votre limonade… Dites-moi : « Rosamond, donnez-moi ce verre. » Dites ces mots simplement, ma mère… Dites-les, comme sachant d’avance que je dois y obéir. »

La malade répéta les mots que sa fille lui dictait, mais elle les répéta sans assurance… elle les répéta, comme étonnée, avec un sourire triste… et en prononçant le nom de Rosamond avec une lenteur particulière… prolongeant ainsi le bonheur qu’elle éprouvait à le sentir passer sur ses lèvres.