Page:Collins - Le Secret.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je prétends empêcher mon mari de me quitter encore, en me faisant aimer de lui plus que jamais il ne m’a aimée. Faut-il vous en dire davantage, à vous, pauvre fille effrayée, malheureuse, sans autre protection que la mienne ?… Ou bien cela suffit-il ?… » Pour toute réponse, Sarah n’a que ses pleurs et un « Non ! » faiblement prononcé. « Voyons ! dit la maîtresse, qui la saisit alors par le bras et la regarde bien en face avec des yeux terribles. Que vaut-il mieux pour vous ? ou de rentrer dans le monde, abandonnée, flétrie, perdue, ou d’échapper à la honte, et de m’avoir à jamais pour votre amie ? Faible, indécise créature, cœur d’enfant, vous ne savez pas choisir ?… Eh bien ! moi, je choisirai pour vous. Ma volonté se fera. Demain et le jour d’après, nous irons, toujours en remontant vers le Nord, vers ce pays où mon imbécile de médecin prétend que je trouverai l’air qui doit me retremper ; vers le Nord, où personne ne me connaît et n’a jamais entendu mon nom. Moi, la suivante, je répandrai le bruit que vous, ma maîtresse, êtes dans un état de santé fort précaire. Aucun étranger ne sera admis près de vous, si ce n’est, le moment venu de les appeler, le médecin et la garde. Où je les prendrai, je l’ignore encore ; mais ce que je sais, c’est que l’un et l’autre serviront notre projet sans avoir le moindre soupçon de ce dont il s’agit ; et ce que je sais encore, c’est qu’une fois revenues dans le Cornouailles, notre secret, resté entre nous deux, n’aura été confié à personne autre ; et que, jusqu’à la fin du monde, ce sera un secret comme ceux que garde la tombe… » Voilà, dans le silence de la nuit, sous un toit étranger, le langage qu’elle tient, avec toute l’énergie du vouloir qui est en elle, à une femme effrayée, affligée entre toutes, et, de plus, pénétrée de honte, dépourvue d’appuis. Est-il besoin de dire comment ce conflit se termina ? Cette nuit-là même, Sarah plia l’épaule sous le fardeau qui, depuis lors, est allé s’appesantissant d’année en année.

— Combien de jours dura leur voyage vers le Nord ? demanda Rosamond avec empressement. Où s’arrêtèrent-elles ? En Angleterre ? en Écosse ?

— En Angleterre, répondit l’oncle Joseph. Mais le nom de la ville échappe à ma langue d’étranger… C’était une petite ville au bord de la mer, de cette grande mer qui sépare mon pays du vôtre… là, elles firent halte, elles attendirent là que le temps fût venu d’envoyer chercher le médecin et la garde. Et ce qu’avait prédit mistress Treverton fut réalisé de point