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c’est que Sarah va demeurer avec moi, en mon domicile, Truro… que je la rendrai heureuse… que je la guérirai dès que nous serons établis ensemble pour le reste de nos jours… Jugez alors, monsieur, du coup qui me tombe dessus, lorsque j’apprends qu’elle ne veut pas habiter où j’habite, avoir son chez soi là où j’ai le mien… Jugez aussi, bonne dame, quelle doit être ma surprise, quand je lui demande ses raisons, d’apprendre qu’il lui faut quitter son oncle Joseph, parce qu’elle a peur que vous ne veniez à la découvrir, vous ! »

Il s’arrêta ici, et, jetant un regard inquiet sur le visage de Rosamond, il le vit, après qu’il eut achevé cette phrase, s’attrister et se détourner de lui…

« N’est-ce pas pour ma nièce Sarah que vous êtes ainsi affligée, madame ?… et n’avez-vous pas pitié d’elle ? demanda-t-il avec un peu d’hésitation, et d’une voix qui tremblait.

— J’ai pitié d’elle, et de tout mon cœur, dit Rosamond, appuyant chaleureusement sur ces derniers mots.

— Et c’est de tout mon cœur aussi que je vous remercie de cette pitié, répliqua l’oncle Joseph. Ah ! madame, votre bonté m’encourage à continuer, et à vous dire que, le jour même de notre retour à Truro, nous nous séparâmes l’un de l’autre. Or quand elle m’est venue voir, cette fois, il y avait des années et des années, de longues années de solitude, bien longues, et beaucoup, que nous ne nous étions trouvés ensemble… Je craignais qu’il ne dût encore s’en écouler beaucoup d’autres avant notre réunion future, et, jusqu’au dernier moment, j’essayai de la retenir auprès de moi… Mais, pour la faire partir, la même crainte existait encore… la crainte d’être découverte, d’être questionnée par vous. Aussi, des pleurs dans ses yeux (et dans les miens), le chagrin dans son âme (et dans la mienne), elle s’en alla se cacher dans l’immense abîme de cette grande ville de Londres, qui absorbe toutes gens et toutes choses, dès qu’on les y jette, et qui a, de même, absorbé ma nièce Sarah… « Mon enfant, lui avais-je dit, vous écrirez quelquefois à l’oncle Joseph ?… » Et elle m’avait répondu : « J’écrirai souvent… » Il y a trois semaines de ceci, et là, sur mes genoux, vous voyez quatre lettres que j’ai reçues d’elle… Je vous demanderai la permission de les mettre ici sous vos yeux, parce qu’elles m’aideront à continuer ce que j’ai encore à vous dire, et aussi parce que je vois bien, madame, à votre physionomie, que vous compatissez de cœur aux souffrances de ma nièce Sarah. »