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Rosamond se rassit à côté de son mari.

« C’est un bizarre incident, disait-elle à voix basse et d’un ton préoccupé. Il y a quelque chose de plus qu’un hasard dans cette arrivée qui nous donne prise sur la vérité, alors que justement nous ne savions comment l’éclaircir. »

La porte, pour la seconde fois, s’ouvrit, et sur le seuil apparut, dans une attitude modeste, le petit vieillard aux joues roses et aux longs cheveux blancs. Une petite boîte de cuir, fixée par une courroie en sautoir, pendait sur sa hanche, et un tuyau de pipe se projetait au dehors d’une poche ouverte, à hauteur d’aisselle, sur le devant de sa redingote. Il fit un pas dans la chambre, s’arrêta, leva ses deux mains, qui pétrissaient son chapeau de feutre dans leur double étreinte, jusqu’à son cœur, et, avec une remarquable prestesse, exécuta successivement cinq fantastiques révérences, dont deux pour mistress Frankland, deux pour le mari d’icelle, et une derechef pour mistress Frankland, à titre d’hommage spécial et distinct pour une « personne du sexe. » Jamais Rosamond n’avait rencontré sur sa route pareille incarnation de l’innocence, de l’inoffensivité virile ; jamais elle n’eût reconnu, dans le personnage qui la lui offrait, « l’audacieux vagabond » de la femme de charge, et l’homme que M. Munder déclarait « pire qu’un voleur. »

« Madame, et vous, bon monsieur, dit le vieillard, qui, sur l’invitation de mistress Frankland, avait fait quelques pas en avant, je vous demande bien pardon si je m’annonce moi-même… Mon nom est Joseph Buschmann… J’habite la ville de Truro, où je fabrique commodes, cabinets, plateaux à thé, tous articles en bois vernis ou polis… Je suis également, sauf votre respect, ce même petit étranger qui fut réprimandé par le grand majordome, lorsque je vins visiter le manoir. Tout ce que j’attends de votre bonté, c’est que vous veuillez bien me permettre, tant pour mon propre compte que pour celui d’une autre personne qui m’est très-chère, de vous dire un simple petit mot dont je me suis chargé pour vous. Je ne vous prendrai tout au plus que quelques minutes, madame, et vous, bon monsieur ; après quoi je me remettrai en route, vous laissant mes meilleurs souhaits avec mes plus sincères remercîments.

— Veuillez, monsieur Buschmann, dit Léonard, veuillez vous bien convaincre que notre temps est à vous… Nous n’avons aucune occupation qui doive vous faire abréger votre