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tes. Qui peut dire tout ce qu’elle aura souffert, le jour où elle s’est approchée de mon chevet, sans se faire connaître à moi ? Oh !… que ne donnerais-je pas pour ne l’avoir pas si légèrement traitée !… Il est affreux pour moi de penser que je lui ai parlé comme on parle à un subalterne dont on a droit d’attendre une obéissance absolue… et plus affreux encore de m’apercevoir que, même à présent, il m’est impossible de penser à elle avec les sentiments qu’une enfant doit à sa mère… Comment lui faire savoir que je connais le Secret ?… Comment… ? »

Ici elle s’arrêta, le cœur serré par le ressouvenir soudain de la flétrissure imposée à sa naissance ; elle s’arrêta, comme effrayée, en songeant au beau nom que son mari lui avait donné, et à cette origine, dédaigneusement méconnue par la société qui se trouvait, en définitive, être la sienne.

« Pourquoi n’achevez-vous pas ? lui demanda Léonard.

— J’avais peur… commença-t-elle, et de nouveau la phrase resta inachevée.

— Vous aviez peur, dit-il, complétant lui-même la pensée qu’elle n’osait exprimer, que quelques mots de pitié accordés à cette infortunée ne fussent pénibles pour mon orgueil trop susceptible, en me rappelant votre naissance et tout ce qui s’y rattache ?… Rosamond, je serais indigne de votre sincérité sans pareille vis-à-vis de moi, si, de mon côté, je n’avouais pas que cette découverte m’a effectivement blessé comme un orgueilleux seulement peut être blessé. Mon orgueil est en moi, de naissance et par éducation. Mon orgueil, au moment même où je vous parle, prend avantage de ces premiers instants où le sang-froid m’est rendu, pour me suggérer, à l’encontre de toute probabilité, que ce que vous m’avez lu tout à l’heure pourrait bien, après tout, n’être pas vrai… Mais, si fortement que soit enraciné en moi ce sentiment héréditaire et développé par l’éducation, telle peine qu’il doive me coûter à dominer, à discipliner, à maîtriser, comme je dois, comme je veux le faire… il y a dans mon cœur un sentiment plus fort encore… »

Il chercha, disant ceci, la main de sa femme, et la prit dans les siennes ; puis il ajouta :

« À partir de cette heure où vous avez consacré toute votre existence à un pauvre aveugle ; à partir de cette heure qui vous a donné droit à toute sa reconnaissance, comme vous aviez droit à tout son amour, vous avez, Rosamond, pris dans