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meurait assise devant cet objet, si insignifiant en apparence, lisant, lisant, relisant toujours ; n’y touchant jamais qu’au moment où il fallait tourner ou retourner la première page écrite des deux côtés ; ne bougeant pas, ne parlant pas, ne levant pas une seule fois les yeux. Ainsi qu’un condamné à mort lirait la sentence qui l’envoie sur l’échafaud, ainsi Sarah Leeson lisait maintenant les quelques lignes qu’une demi-heure auparavant sa maîtresse lui avait dictées.

L’espèce de paralysie où la vue de cet écrit jetait sa pensée tenait, autant qu’à son existence même, aux circonstances dans lesquelles il venait d’être rédigé. Le serment exigé par mistress Treverton, sans autre mobile sérieux que le caprice final de ses facultés dérangées et le souvenir excitant de son passé dramatique, avait été prêté par Sarah Leeson comme l’engagement le plus sacré qu’elle pût contracter envers elle-même. Cette menace d’une réapparition posthume que sa maîtresse avait risquée comme une espèce d’épreuve railleuse, dont elle voulait juger l’effet sur la crédulité superstitieuse de la femme de chambre, pesait maintenant, comme une sanction terrible et presque certaine, sur l’avenir menacé de cette pauvre fille épouvantée. Lorsque, repoussant le papier fatal, elle se fut relevée, elle demeura immobile, un moment, avant d’oser détourner la tête et regarder derrière elle ; et, lorsqu’elle risqua ce regard, ce fut avec un effort, avec un frisson, et comme si elle osait à peine interroger l’obscurité dans laquelle s’effaçaient les recoins de la chambre solitaire.

L’habitude qu’elle avait depuis longtemps contractée de se parler à elle-même parut alors retrouver son influence, tandis que, d’un pas rapide, elle parcourait sa chambre dans tous les sens. À chaque instant, ces phrases brisées sortaient de sa bouche : « Comment lui donner cette lettre ? Un si bon maître… qui nous traite tous si bien !… Pourquoi, mourant, me laisser tout ce fardeau ?… C’est trop pour moi toute seule. » Et, tout en répétant au hasard ces mots entrecoupés, elle s’employait, sans en avoir conscience, à mettre à leur place une quantité de menus meubles déjà parfaitement rangés. Tous ses regards, tous ses gestes trahissaient la vaine lutte d’un esprit débile aux prises avec le sentiment d’une responsabilité lourde. Elle prenait l’une après l’autre, pour les placer et les replacer de vingt manières différentes, les modestes porcelaines qui garnissaient sa cheminée. Elle accrochait sa pelote à son miroir, puis l’ôtait de là pour la poser sur la table vis-à-vis ; boule-