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Il serra silencieusement sa main, et l’embrassa sur les deux joues. « J’ai le cœur gros à votre sujet, Sarah, lui dit-il, la crainte m’est venue que, si vous quittez maintenant l’oncle Joseph, ce ne soit pas pour votre bien.

— Je ne suis pas libre, répéta-t-elle tristement… Il faut vous quitter.

— En ce cas, il est grand temps de partir. »

L’incertitude et la crainte qui avaient assombri sa physionomie au moment où la musique s’était achevée à l’improviste, semblèrent y jeter une ombre encore plus épaisse, quand il eut prononcé ces paroles. Il prit le panier qu’il avait jusqu’alors si soigneusement conservé à ses pieds, et passa devant sa nièce, guide silencieux.

Ils arrivèrent tout juste à temps. Le cocher montait sur son siége, comme ils se présentaient à la porte du bureau. « Dieu vous garde, chère enfant, et vous réunisse bientôt à moi saine et sauve ! Prenez ce panier sur vos genoux : ce sont quelques petites provisions de voyage. » La voix lui manqua sur cette parole, et Sarah sentit qu’il posait les lèvres sur la main qu’elle lui avait tendue. L’instant d’après, la portière fut fermée, et, à travers ses larmes, elle l’entrevit vaguement parmi les oisifs groupés pour regarder partir la voiture.

À quelque distance de la ville, ses larmes taries lui permirent de regarder ce que renfermait le panier. C’était un pot de marmelade et une cuiller de corne, une petite boîte à ouvrage incrustée, prise parmi celles du magasin, un morceau de fromage qui semblait étranger, un gâteau français, et une petite somme d’argent roulée dans du papier, avec ces mots pour suscription : Ne vous fâchez pas ! de la main de l’oncle Joseph. Sarah referma le panier, et tira son voile sur son visage. Elle n’avait pas, jusqu’à ce moment, ressenti toute l’amertume de la séparation. Oh ! qu’il lui semblait pénible de se sentir bannie de l’asile où voulait la retenir l’unique ami qu’elle se connût ici-bas !

Pendant que cette pensée la préoccupait, le vieillard fermait justement la porte de son salon désert ; son regard se posait sur le plateau à thé, sur la tasse vidée par Sarah, et il se redisait en sa langue maternelle :

« Oui… la musique s’est ainsi arrêtée lorsque mourut le petit Joseph ! »