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du cou, laissant éclater une énergie de passion qui contrastait merveilleusement avec la réserve ordinaire de son caractère.

« Je vous écrirai souvent, disait-elle… je vous écrirai sans cesse, murmurait-elle, la tête appuyée sur la poitrine du vieillard… Si jamais je suis ou dans l’inquiétude, ou en quelque péril, vous le saurez certainement… »

À ces mots, elle s’arrêta toute troublée, confuse, comme effrayée d’elle-même, de sa liberté de paroles et de gestes. Ses bras s’ouvrirent, et, se détournant, elle cacha sa tête dans ses deux mains. Dans ce simple mouvement se révélait (et avec quelle saisissante éloquence !) le tyrannique empire de la retenue qu’elle s’était toujours imposée depuis qu’elle était femme.

L’oncle Joseph se leva de son canapé, et lentement se promena par la chambre, de long en large, çà et là, regardant sa nièce, mais sans lui adresser la moindre parole. Quelques minutes passées, le domestique vint mettre le couvert du souper. L’interruption arrivait à propos, puisque Sarah se trouvait ainsi forcée de reprendre quelque empire sur elle-même. Aussitôt après le souper, l’oncle et la nièce se quittèrent pour le reste de la nuit, sans échanger une seule parole relative à leur séparation ultérieure.

Lorsqu’ils se retrouvèrent ensemble, le lendemain matin, le vieillard n’avait pas encore retrouvé sa sérénité ordinaire. Il essayait bien de causer aussi gaiement que d’habitude ; mais dans sa voix, dans ses gestes, dans ses allures, il y avait un sérieux, une réserve étranges. Le cœur de Sarah souffrait à le voir aussi tristement préoccupé de leur séparation future. Elle voulut hasarder quelques mots de consolation et d’espoir ; mais il les repoussa par un de ces gestes de main qui lui étaient familiers, et qui caractérisaient l’originalité de ses façons exotiques. Puis il sortit pour aller régler le compte de l’aubergiste.

Peu après le déjeuner, à la grande surprise des gens de l’hôtel, nos deux voyageurs reprirent pédestrement leur voyage, l’oncle Joseph, havre-sac au dos, et sa nièce portant à la main son sac de nuit. Arrivés au tournant qui allait les conduire au chemin de traverse, tous deux s’arrêtèrent, tous deux regardèrent en arrière. Cette fois ils n’aperçurent rien qui pût leur causer la moindre inquiétude. Pas une créature humaine ne se montrait sur le grand chemin, qu’ils n’avaient pas quitté depuis leur départ de l’auberge.

« La route est libre, dit l’oncle Joseph, au moment où ils débouchaient sur le chemin de traverse… Quoi qu’il en soit