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à un brusque détour du corridor, Betsey s’était arrêtée court, désespérant de rattraper la personne qu’elle entendait courir devant elle, et obéissant ainsi à un sentiment de crainte (que le témoin caractérisa par ce mot : « chair de poule ») causé par l’idée de s’aventurer toute seule, même en plein jour, dans la partie hantée de l’habitation. En quatrième lieu, tandis qu’elle hésitait ainsi à tourner le coude du corridor, Betsey avait entendu « aller » la serrure d’une porte, et, stimulée de nouveau par la curiosité, avait fait quelques pas encore, après lesquels elle s’était arrêtée encore pour débattre avec elle-même une question obscure et terrible : celle de savoir si c’est une habitude chez les fantômes en général, lorsqu’ils vont d’un endroit à un autre, d’ouvrir toute porte fermée qui vient à se trouver sur leur route, ou bien, au contraire, s’ils se dispensent de cette ennuyeuse formalité en passant tout bonnement à travers. En cinquième lieu, après une longue délibération et plusieurs tentatives, non suivies d’effet, pour se remettre en marche, ou pour revenir sur ses pas, Betsey trancha la question ci-dessus en se disant que, de temps immémorial, les esprits passaient à travers les portes, sans avoir rien à démêler avec leurs serrures. En sixième lieu, fortifiée par cette conviction, Betsey marcha tout droit vers la porte, et hardiment, lorsqu’elle entendit un grand bruit, comme celui que produit la chute d’un corps pesant (le témoin employa cette pittoresque onomatopée ; « un gros patapouf »). En septième lieu, ce bruit effraya Betsey au point de lui ôter toute présence d’esprit, lui fit monter le cœur aux lèvres, et lui coupa net la respiration. En huitième et dernier lieu, lorsqu’elle eut retrouvé assez d’haleine pour émettre un cri (un cri ou une clameur), Betsey cria ou clama de toute sa force, reprenant à toutes jambes le chemin de sa cuisine, ses cheveux se dressant « tout debout » sur sa tête, et sa chair plus que jamais « de poule » sur toute sa personne, depuis le sommet de ladite tête jusqu’à la plante de ses pieds.

« C’est bien cela… c’est bien cela, » dit M. Munder, dès que le témoin eut achevé sa déclaration : comme si la vue d’une jeune femme, les cheveux tout debout, et la chair toute de poule, était, dans ses rapports avec le beau sexe, le résultat quotidien de ses expériences personnelles… C’est bien cela… Vous pouvez vous retirer, ma brave fille… vous pouvez vous retirer… Il n’y a pas là de quoi rire, continua-t-il d’un ton sévère, s’adressant à l’oncle Joseph, que le témoignage de Betsey avait singulièrement réjoui. Vous feriez mieux de vous reporter…