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alors sur l’espèce de corniche que formait la table, naturellement beaucoup plus large que le cabinet superposé ?… Qu’y vit-il, sinon une magnifique boîte à musique, trois fois grosse comme la sienne ?…

« Oh !… oh !… oh !… s’écria l’oncle Joseph, exécutant une gamme ascendante qui ne prit fin qu’aux dernières limites de sa voix de poitrine, et qui exprimait une surprise démesurée. Ouvrez-la !… Faites-la jouer !… que je sache ce qu’elle joue !… »

Les mots manquant ici à son impatiente curiosité, il se mit à tambouriner des deux mains sur le couvercle de la boîte, avec une espèce de frénétique enthousiasme.

« Monsieur Munder ! s’écria la femme de charge, qui, indignée, courut d’un bout du salon à l’autre… Où avez-vous les yeux ? Pourquoi lui permettre… ? Il va faire sauter la serrure de la boîte à musique !… Laissez-moi, monsieur !… Comment osez-vous mettre la main sur moi ?

— Oh ! faites-la jouer ! faites la jouer ! répéta l’oncle Joseph qui, effectivement, avait saisi le bras de mistress Pentreath, mais le lâcha sans attendre une seconde sommation… Voyez par ici !… Ce que j’ai là, pendu, c’est aussi une boîte à musique… Faites jouer la vôtre… Joue-t-elle du Mozart, elle aussi ?… Elle est trois fois aussi grosse qu’aucune de celles que j’aie jamais vues… Vous voyez cette petite-là ?… Elle n’a l’air de rien à côté de la vôtre… mais elle a été donnée à mon propre frère par le roi de tous les compositeurs passés, présents et futurs… par le divin Mozart en personne… Faites aller votre grosse machine… et je vous ferai entendre, ensuite, ce petit joujou d’enfant… Ah ! chère et bonne dame, pour l’amour de moi !

— Monsieur ! s’écria la femme de charge, que cette adjuration malencontreuse fit rougir d’une vertueuse colère.

— Que signifie, monsieur, un pareil langage adressé à une femme respectable ? demanda M. Munder, accouru à la rescousse… Croyez-vous qu’on ait affaire ici de vos musiques étrangères, de votre morale étrangère, et de ces profanes allures, également étrangères ?… Oui, monsieur, j’ai dit profanes. Tout homme qui, vis-à-vis d’un de ses pareils, musicien ou autre, se sert du mot divin, commet une véritable profanation… Et qui donc êtes-vous, pour vous porter à ces audacieuses extrémités ?… Seriez-vous athée, par hasard ?… »

Avant que l’oncle Joseph eût pu répondre à cette question par une profession de foi dans les règles, et avant que M. Mun-