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la femme de charge. C’était un de ces hommes graves, grands, gros, à mine bénévole, qui, avec une tête en cône, une voix caverneuse, des gestes lents, une démarche lourde, parviennent, par un procédé tout passif, assez difficilement compris, à conquérir une grande réputation de sagesse, sans s’être donné le mal de dire ou de faire quoi que ce soit qui la puisse justifier. Aux environs de Porthgenna, on ne parlait de « monsieur l’intendant » que comme d’un personnage remarquablement judicieux et intelligent ; et la femme de charge, bien que très-perspicace en d’autres matières, partageait, sur ce point particulier, l’illusion générale.

« Bonjour, mistress Pentreath ! dit M. Munder. Y a-t-il du nouveau, ce matin ? »

Quel poids, quelle importance ne donnèrent pas à ces deux phrases si insignifiantes la voix creuse de l’intendant, et la lenteur méthodique de son débit !

« Assez de nouveau pour vous surprendre, monsieur Munder, répliqua la femme de charge. J’ai reçu ce matin, de mistress Frankland, une lettre dont je puis dire qu’en fait d’énigmes, je n’ai jamais rencontré la pareille. J’ai ordre de vous la communiquer, et je vous ai attendu toute la matinée pour savoir ce que vous en pensez. Veuillez vous asseoir et m’accorder toute votre attention ; cette lettre en a besoin, c’est moi qui vous le garantis. »

M. Munder s’assit, et devint aussitôt l’image même de l’attention, non pas de cette attention vulgaire qui peut, en quelques minutes, s’épuiser ou se lasser, mais de cette autre attention, pour ainsi dire magistrale, qui ne connaît pas de fatigue, et domine l’ennui comme le temps. La femme de charge, sans perdre ces précieuses minutes, les minutes de M. Munder, lesquelles, par rang d’importance, venaient immédiatement après celles du premier ministre, ouvrit la lettre de sa maîtresse, et, résistant à l’envie assez naturelle de risquer encore à ce sujet quelques mots de préface, elle livra aux méditations de l’intendant le premier paragraphe, ainsi conçu :

Mistress Pentreath,

Vous devez être fatiguée de ces lettres, où je vous annonce pour tel ou tel jour mon arrivée et celle de mon mari. Je pense donc qu’il vaut mieux, vous écrivant encore à ce sujet, ne pas prendre un troisième rendez-vous ; aussi vous dirai-je simplement que nous partirons de West-Winston pour Porthgenna aussitôt que le docteur m’aura permis le voyage.