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lui passant affectueusement la main sur l’épaule… Je resterai ici, fort à mon aise, tête à tête avec ma pipe… Mozart, d’ailleurs, sortira de sa cage, et chantera sa petite chanson dans ce bon air frais… » Tout en parlant, il détachait de son épaule le petit sac de cuir, en tirait la boîte à musique, et l’organisait de manière à lui faire jouer le second des deux airs qu’elle enfermait : le menuet de Don Giovanni. Au moment où Sarah s’éloignait, elle le laissa cherchant, non pas où il pourrait s’asseoir, mais, où il trouverait un coin de rocher assez plane et assez lisse pour y placer sa petite boîte. Lorsqu’il l’eut trouvé, il alluma sa pipe, et s’assit à terre pour jouir, en véritable épicurien, de son tabac et de sa musique.

« Ah ! ah ! s’écriait-il, regardant de tous côtés le sauvage aspect des lieux qui l’environnaient, et aussi tranquille du reste que s’il eût été à Truro, dans son petit salon… Ah ! ah ! mon ami Mozart, voilà une grande salle de concert… Vous êtes à votre aise pour chanter !… Ouf ! quel vent !… Il y en a vraiment assez pour emporter jusqu’en pleine mer vos jolis airs de danse, et les faire goûter de messieurs les matelots, tandis qu’ils s’en vont là-bas, secoués par leurs navires. »

Cependant Sarah se dirigeait rapidement vers l’église, et pénétrait dans l’enclos du petit cimetière. Ce même endroit où elle avait porté ses pas, le soir de la mort de sa maîtresse, elle s’y rendait encore seize ans après. Ici, du moins, le temps avait laissé des traces de son passage, et ces traces étaient des tombeaux. Combien de petits coins de terre, vides quand elle les avait vus pour la dernière fois, maintenant s’étaient remplis et portaient leur pierre tumulaire ! Cette fosse solitaire qu’elle était venue voir, et qui, à cette lointaine époque, se reconnaissait de loin, séparée des autres, elle avait maintenant, à droite et à gauche, des compagnes et des voisines. À grand’peine Sarah l’aurait-elle pu distinguer parmi elles, si cette tombe n’eût été plus maltraitée, plus brunie, plus rongée que ses cadettes, par les souffles de la bise marine et les larmes de l’orage. La petite butte avait conservé sa forme ; mais le gazon plus épais et plus haut, balayé comme il l’était par le vent, semblait adresser à la visiteuse un mélancolique salut de bienvenue. Agenouillée près de la pierre, elle essaya de déchiffrer l’inscription. La couche de peinture noire, qui faisait jadis mieux discerner les caractères en relief, avait été graduellement enlevée. Pour d’autres yeux que les siens, le nom du mort eût été bien difficile à retrouver. Elle poussa un profond