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tiers indifférent aurait pu deviner, en les voyant côte à côte, immobiles au milieu de la lande, que l’un regardait le paysage avec la curiosité toute simple d’un homme qui le voyait pour la première fois, tandis que l’autre le contemplait à travers les ressouvenirs d’une moitié d’existence ? Tous deux avaient les yeux secs ; tous deux se taisaient ; tous deux regardaient devant eux avec la même attention. Même entre eux, il n’y avait, à ce moment, aucune sympathie réelle, aucun intelligible appel de la pensée de l’un à celle de l’autre. La tranquille admiration que ce tableau avait éveillée dans l’âme du vieillard ne fut pas plus exprimée, quand ils se remirent en marche, et recommencèrent à se parler, en termes plus concis et plus terre à terre, que ne furent sincères les formules d’assentiment par lesquelles sa nièce répondit au peu qu’il disait. Combien de moments pareils, en cette vie éphémère, où les ressources tant vantées de la parole humaine nous faisant défaut, le vocabulaire ne nous offre que des couleurs effacées, et où la page à remplir demeure vide, faute de mots !

Descendant lentement la pente insensible des landes, l’oncle et la nièce se rapprochaient toujours davantage de Porthgenna-Tower. Ils n’étaient plus qu’à un quart d’heure environ du vieux manoir, lorsque Sarah fit halte en un endroit où un second sentier venait couper le chemin que jusqu’alors ils avaient suivi. À leur gauche, ce nouveau sentier s’en allait à perte de vue dans la vaste étendue des bruyères ; à leur droite, il menait directement vers l’église.

« Pourquoi maintenant nous arrêter ? demanda l’oncle Joseph, regardant d’abord d’un côté, puis de l’autre.

— Vous ennuierait-il de m’attendre ici quelques instants, mon cher oncle ?… Je ne puis rencontrer le chemin de l’église… » Et ici, elle s’arrêta, trouvant quelque embarras à s’expliquer… « Sans désirer… ne sachant guère ce qui nous attend lors que nous serons arrivés là-bas… sans désirer qu’il me soit permis de voir… de m’assurer… » Elle s’arrêta de nouveau, et tourna la tête vers l’église, de manière à ne pas laisser le moindre doute sur l’envie qu’elle éprouvait d’aller dans cette direction. Ces larmes, que la vue de Porthgenna ne lui avait pas tout d’abord arrachées, commençaient maintenant à lui monter aux yeux.

La délicatesse naturelle de l’oncle Joseph l’avertit qu’il valait mieux ne solliciter d’elle, en ce moment, aucune explication. « Allez où vous voudrez, voir ce que vous voudrez, dit-il,