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— Chut !… répondit Sarah… Et, pour le présent, ne me faites pas d’autres questions, ajouta-t-elle avec une insistance particulière… Je suis trop inquiète, trop effrayée pour y répondre… Voici, mon oncle, la lande de Porthgenna. Voici la route que je suivis, il y a seize ans, en m’échappant pour me rendre auprès de vous. Avançons, avançons, je vous en prie !… Je ne puis penser, en ce moment, qu’à l’habitation dont nous sommes si proches, et au danger que nous allons affronter. »

Ils marchèrent dès lors plus rapidement, et en silence. Une demi-heure de cette allure un peu forcée les amena sur le point le plus élevé du grand marécage, et développa sous leurs yeux, dans ses vastes proportions, toute la perspective occidentale.

Au-dessous d’eux se dressait, solitaire et sombre, la massive structure de Porthgenna-Tower, autour de laquelle on voyait déjà se glisser les premiers rayons du soleil couchant, éclairant les fenêtres de l’ouest. Là aussi se déroulait gracieusement, en méandres d’une blancheur éblouissante, le sentier serpentant sur les landes brunes. Là, plus bas encore, était la vieille église isolée, ayant à son flanc, comme un nid, le paisible cimetière. Et au-dessous, dans l’extrême pente, les chaumes dispersés des cabanes de pêcheurs. Enfin, par delà tout ceci, l’immuable splendeur de la mer, avec ses antiques lignes de bouillonnante écume, avec son antique marge de grèves jaunes, aux contours sinueux. Seize longues années, années si fécondes en chagrins, si fécondes en souffrances, si fécondes en changements de tout ordre, marqués par le battement des cœurs vivants, avaient passé sur la sépulcrale tranquillité de Porthgenna, et en avaient aussi peu changé l’aspect que si elles eussent été contenues dans le bref espace d’un seul jour.

Les moments où est à son apogée l’agitation de l’esprit qui habite en nous sont presque toujours ceux où ses manifestations extérieures sont le moins faciles à constater. Nos pensées ont un essor que nous ne pouvons suivre ; nos sentiments résident en des profondeurs qui nous sont inaccessibles. Combien est-il rare que des mots puissent nous servir, alors que nous sommes le plus en peine d’être servis par eux ! Combien est-il fréquent de sentir nos larmes se sécher dans nos yeux, quand nous éprouverions le plus vif soulagement à les sentir s’épancher ! Connaissez-vous en ce monde une émotion vraiment forte qui ait jamais trouvé son expression complète ? En face du vieillard et de sa nièce, quel