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la route lui offrait. Il prenait au passage le bonheur que chaque minute lui pouvait donner, avec autant d’empressement et de reconnaissance que s’il n’y eût eu dans l’avenir ni incertitudes, ni difficultés, ni dangers embusqués au bout du voyage. Il n’était pas depuis une demi-heure en voiture, que déjà il racontait à la personne qui se trouvait en tiers avec eux (une vieille dame, d’aspect sévère, qui le regardait avec un étonnement inexprimable), toute l’histoire de la boîte à musique, récit intéressant qu’il acheva en faisant jouer ladite boîte, nonobstant tout le bruit que les roues se purent permettre. La diligence une fois quittée, il se montra tout aussi sociable avec le postillon qui les menait, vantant la supériorité de la bière allemande sur le cidre du Cornouailles, et faisant toute sorte de remarques joyeuses, dont il goûtait pleinement la saveur grotesque, sur tout ce qu’ils rencontraient le long de la route. Ce fut seulement lorsque Sarah et lui se trouvèrent hors de la petite ville, et tout seuls sur la vaste lande qui l’entourait, ce fut seulement alors que ses façons d’agir changèrent, et qu’il redevint silencieux. Après avoir marché quelque temps sans rien dire, donnant le bras à sa nièce, il s’arrêta tout à coup, jeta sur elle un regard sérieux et bon, et posa sa main sur celle de Sarah.

« Il me reste encore une question à vous faire, lui dit-il : le voyage me l’avait fait sortir de la tête, mais elle n’a cessé d’être au fond de mon cœur. Quand nous aurons quitté ce manoir de Porthgenna, et une fois de retour chez nous, vous ne me quitterez pas, n’est-il pas vrai ? Vous resterez avec l’oncle Joseph ? Est-ce que vous dépendez encore de quelqu’un ? Est-ce que vous n’êtes pas encore libre et maîtresse de vos actions ?

— J’étais encore en condition il y a quelques jours, répondit-elle ; mais à présent je suis libre… J’ai perdu ma place.

— Ah ! vous avez perdu votre place ?… Et pourquoi ?

— Parce que je n’ai pu supporter d’entendre blâmer une personne innocente… Parce que… »

Elle se retint ; mais le peu de paroles qu’elle venait de prononcer avaient été dites avec une rougeur soudaine, et sur un ton si décidé, si emphatique, que le vieillard, ouvrant de grands yeux, contempla sa nièce avec un étonnement très-visible.

« Eh ! là, là !… s’écria-t-il… Mais quoi donc ?… Est-ce que vous avez eu quelque dispute ?