Page:Collins - Le Secret.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certainement nous en aurons assez dit. L’inquiétude où je suis maintenant, l’inquiétude qui m’amène auprès de vous, remonte bien au delà des années dont nous venons de parler… elle remonte, oncle Joseph, dans le passé lointain, au jour où nous nous vîmes pour la dernière fois.

— Mais il y a seize ans de ceci ! s’écria le vieillard, qui semblait douter que cela fût possible… Votre peine actuelle remonterait à ce jadis si éloigné ?

— À celui-là même… Vous savez, cher oncle, où je me rendais alors ; vous n’avez pas oublié ce qui m’advint quand…

— Quand vous arrivâtes ici secrètement… quand vous me priâtes de vous cacher ?… c’était la semaine même où venait de mourir votre maîtresse ; votre maîtresse qui habitait là-bas, à l’ouest, le vieux manoir… Vous aviez bien peur, alors… vous étiez pâle… pâle et alarmée comme je vous vois encore aujourd’hui…

— Vous, et tout le monde !… Je ne rencontre que gens acharnés à m’examiner, regards étonnés et curieux… toujours on me croit en proie à des souffrances nerveuses… toujours on s’apitoie sur ma débile santé… »

Tout en se plaignant ainsi avec une soudaine amertume, elle porta à ses lèvres la tasse de thé posée à côté d’elle, la vida d’un seul trait, et la poussa de l’autre côté de la table pour qu’on la lui remplît de nouveau.

« J’ai eu bien soif en venant… j’ai eu bien chaud, murmurait-elle… Encore du thé, oncle Joseph !… encore une tasse de thé.

— Il est tout froid, dit le vieillard. Attendez que j’aie demandé de l’eau chaude.

— Non ! s’écria-t-elle, l’arrêtant comme il allait se lever. Donnez-le moi froid… je l’aime mieux ainsi… Que personne n’entre ici !… je ne pourrais plus parler si quelqu’un entrait. »

Elle rapprocha sa chaise de celle de son oncle, et continua :

« Vous n’avez pas oublié combien j’étais alarmée, à cette époque si loin de nous ?… Vous ne l’avez pas oublié, n’est-ce pas ?

— Vous aviez grand’peur qu’on ne vous eût suivie… voilà la peur que vous aviez, Sarah… Je me fais vieux, mais ma mémoire reste jeune… Vous aviez peur de votre maître, peur qu’il n’eût envoyé ses domestiques à votre poursuite… Vous