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chéri eût été joué d’un bout à l’autre, à deux reprises. Remarquant, alors, que sa nièce semblait un peu plus calme, il lui parla de nouveau.

« Vous avez donc des peines, Sarah ? lui dit-il tranquillement. Vous venez de me le dire, et votre physionomie me l’atteste. Est-ce que vous regrettez votre mari ?

— Je regrette de l’avoir jamais rencontré ! répondit-elle… Je regrette de l’avoir épousé… Maintenant qu’il n’est plus, je ne puis dire que je le regrette… mais je lui pardonne.

— Vous lui pardonnez ?… De quel air dites-vous cela ? Racontez-moi…

— Oncle Joseph, je vous ai dit que mon mari est mort, et que je lui ai pardonné.

— Vous lui avez pardonné ?… C’est donc qu’il était dur et méchant pour vous… Je devine, je devine, allez… Ceci, Sarah, c’est la fin… mais le commencement ?… Le commencement, n’est-ce pas, c’est que vous l’avez aimé ? »

Les joues de Sarah se couvrirent d’une rougeur ardente ; elle détourna la tête de côté.

« Il est dur, il est humiliant de l’avouer, murmurait-elle sans lever les yeux… mais, mon oncle, vous m’arrachez la vérité… Je n’avais pas d’amour à donner à mon mari… ni à lui, ni à aucun autre homme.

— Et, néanmoins, vous l’avez épousé ?… Oh ! attendez !… ce n’est pas à moi de vous blâmer… ma tâche est de découvrir, non ce qui est mal, mais ce qui est bien… Soyez tranquille, je me dirai à moi-même : « Elle l’a épousé dans un moment où elle était misérable et sans appui… dans un moment où, au lieu de l’épouser, lui, elle aurait dû venir trouver l’oncle Joseph… » Je me dirai cela, j’aurai pitié… et je ne demanderai plus rien. »

Sarah fit encore un mouvement pour tendre sa main au vieillard ; puis, elle recula soudain sa chaise et changea d’attitude…

« Il est vrai que j’étais pauvre, dit-elle, parlant avec effort, et promenant autour d’elle un regard où se peignait une certaine confusion ; mais vous êtes si bon, si tendre que je ne puis accepter pour ma conduite l’excuse qu’a trouvée votre indulgence. Je ne l’ai pas épousé parce que j’étais pauvre… mais bien parce que… »

Elle s’arrêta soudain, ses mains s’étreignant avec force, et son fauteuil, plus que jamais, s’écarta de la table.