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plus complète. Mistress Norbury, jetant sur lui un regard de calme supériorité, reprit en ces termes :

« J’étais dans une colère noire… Je n’hésite pas à le confesser, monsieur Orridge… Mais je me contenais de mon mieux. « Mistress Jazeph, lui dis-je, voilà un langage auquel je ne suis point habituée, et que, très-certainement, je ne m’attendais pas à trouver dans votre bouche. Pourquoi vous vous complaisez à défendre mistress Frankland de nous avoir traitées toutes deux avec mépris, et pourquoi vous prétendez m’empêcher de ressentir ce mépris, c’est ce que je ne comprends guère et me soucie peu de comprendre. Mais, je vous le dirai sans autre détour, j’entends et prétends que mes gens me parlent avec respect, depuis la femme de charge jusqu’aux laveuses de vaisselle… J’aurais déjà donné congé à tout autre domestique pour avoir tenu à mon égard une conduite semblable à la vôtre… » Ici elle voulut m’interrompre, mais je ne le souffris pas… « Non, lui dis-je, vous n’avez pas encore à prendre la parole : il faut d’abord m’écouter. Tout autre domestique, je vous le répète, aurait été renvoyé, à votre place, dès demain matin. Mais pour vous, je veux être plus que juste. Vous aurez tout ce qui est dû à cinq années de bon service chez moi… Je vous accorde toute la nuit pour rentrer en possession de votre sang-froid, et réfléchir sur ce qui s’est passé entre nous. Je n’attends de vous que demain matin les excuses auxquelles j’ai droit… » Vous voyez, monsieur Orridge, que j’étais déterminée à être impartiale et pleine d’égards. En retour de tant de bonté, savez-vous ce que j’obtins ? « Je veux bien, madame, dit-elle, vous faire à la minute même toute sorte d’excuses, pour vous avoir offensée ; mais, demain comme ce soir, il ne faut pas vous attendre à me voir rester muette, si on accuse mistress Frankland d’avoir agi, à mon égard ou à l’égard de qui que ce soit, contrairement à la bonté, à la civilité, aux convenances. — Est-ce bien réfléchi, ce que vous me dites là, mistress Jazeph ? demandai-je. — C’est très-sincère, madame, répondit-elle, et je suis fâchée de ne pouvoir parler autrement. — Ne vous en mettez pas en peine, dis-je alors… car vous ne devez plus vous regarder comme de ma maison. Mon intendant aura ordre, dès demain matin, de vous payer vos gages du mois entier, au lieu de l’indemnité ordinaire, et je vous prierai de déloger ensuite le plus tôt que cela pourra se faire sans vous gêner. — Je partirai demain, madame, répondit-elle, mais sans déranger votre intendant. En tout respect et