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venu dans la couleur de sa chevelure. Abondante et souple, elle ondoyait gracieusement comme celle d’une jeune fille ; mais elle grisonnait comme celle d’une femme déjà vieille. En elle se trouvait le contraste le plus frappant avec les dehors de jeunesse que gardait encore la figure de Sarah ; car, en dépit de sa pâleur et de sa physionomie inquiète, on ne pouvait pas s’y méprendre un seul instant : ce n’était point là une femme âgée. Si blêmes qu’elles fussent, ses joues n’avaient pas une ride ; dans ses yeux, quand on faisait abstraction de cette timidité sans cesse troublée qu’on y remarquait en général, brillait cet éclat humide que la maturité des années ne leur laissa jamais. La peau qui recouvrait ses tempes était lisse comme celle d’un enfant. Ces signes et d’autres, non moins certains, montraient qu’elle était encore loin du déclin de l’âge, à ne compter que les années écoulées depuis sa naissance. Malgré sa langueur, et pliant, comme elle semblait, sous le poids des mauvais jours, cette femme, à partir des yeux, ne paraissait pas plus de trente ans. En la regardant plus haut, l’effet de ses cheveux gris, si épais, si brillants, avait quelque chose de surprenant, d’imprévu, qui produisait comme un saisissement pénible. Si pénible était-il, ce contraste hors nature, qu’on eût préféré des cheveux teints, comme plus vraisemblables, après tout. La nature se démentait ici tellement, que l’art eût semblé plus vrai. Quel malheur subit avait ainsi jeté sur ces cheveux luxuriants de jeunesse les tristes nuances qui caractérisent l’épuisement sénile ? Était-ce une maladie grave ? était-ce une de ces grandes douleurs qui tarissent la vie dans ses sources ? Question souvent débattue parmi ses camarades de domesticité, tous frappés par la singularité de son apparence extérieure, et à qui, d’ailleurs, la rendait quelque peu suspecte l’habitude invétérée qu’elle avait de se parler à elle-même. De quelque manière qu’ils s’y fussent pris, leur curiosité avait toujours été déjouée. On n’avait rien pu découvrir, si ce n’est que Sarah Leeson était « un peu sur l’œil, » c’est ainsi qu’ils disaient, quand on lui parlait ou de ses cheveux gris, ou de ses monologues ; et depuis longtemps la maîtresse de Sarah était formellement intervenue, tant auprès de son mari que de ses subordonnés, pour leur interdire toutes questions inquisitoriales qui eussent pu désobliger et troubler sa femme de chambre.

Dans cette remarquable matinée du 23 août 1829, la personne que nous venons de dépeindre se tint un moment, im-