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dans les comtés de l’Ouest, et qui est maintenant installée à la Tête de Tigre. Vous avez dû, n’est-ce pas, mistress Jazeph, entendre parler de cette histoire ? »

Mistress Jazeph, debout sur le seuil de la porte, jeta un regard respectueux du côté du docteur, et répondit affirmativement à la question de sa maîtresse. Bien qu’elle eût articulé tout simplement les deux mots d’usage : « Oui, madame, » et cela le plus posément du monde, M. Orridge fut frappé de la douceur de cette voix comme attendrie et plaintive. S’il ne l’avait eue sous les yeux, il aurait cru entendre une toute jeune femme. Après qu’elle eut parlé, il demeura occupé à étudier son visage, bien que les convenances lui eussent fait un devoir de détourner son regard du côté de mistress Norbury. Lui qui d’ordinaire ne prenait pas garde à ces minuties, il se surprit faisant, en quelque sorte, l’inventaire de sa toilette, de sorte que, longtemps après, il aurait pu décrire le bonnet de mousseline, immaculé dans sa blancheur, qui recouvrait correctement sa chevelure grise, lissée avec soin, et cette robe brune, d’une nuance calme, qui l’habillait si bien, et pendait autour d’elle en plis si nets et si réguliers. L’espèce de petite honte qu’elle éprouvait à se trouver ainsi dévisagée par le docteur ne l’induisit en aucune gaucherie d’attitude ou de gestes. Si, parlant uniquement au sens physique, il y a quelque chose qui se puisse appeler « la grâce de la retenue, » cette sorte de grâce se trouvait empreinte dans les moindres mouvements de mistress Jazeph. C’était elle qui accompagnait ses pieds glissant sur le tapis, lorsque, aux nouvelles interpellations de sa maîtresse, mistress Jazeph se rapprocha de mistress Norbury ; c’était elle qui dicta le mouvement de sa main lorsqu’elle l’appuya bien légèrement sur une table à sa portée, alors qu’elle faisait halte pour mieux entendre la question qu’on lui adressait.

« Sachez, continua mistress Norbury, que cette pauvre dame se rétablissait à vue d’œil, lorsque, ce matin même, la garde qui la soignait s’est trouvée gravement indisposée. Voici donc cette jeune mère dans un endroit qu’elle ne connaît point, en face de son premier enfant, et sans l’aide qui lui serait si nécessaire, sans une femme d’âge et d’expérience pour la soigner comme elle devrait être soignée. Il nous faudrait quelqu’un en état de veiller sur cette délicate créature, si peu faite aux aspérités de l’existence. M. Orridge, pris à court, ne peut, en quelques heures, trouver ce quelqu’un-là.