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les premières lignes, ses lèvres commencèrent autour du tuyau de sa pipe un travail assez inusité. Il n’y avait pas de feuille à tourner, la lettre, assez laconique, finissant au bas de la première page. Il lut jusqu’à la signature, examina de nouveau la suscription, et parcourut pour la seconde fois, d’un bout à l’autre, ce document qui semblait l’intéresser. Ses lèvres continuaient à travailler autour de l’embouchure de sa pipe ; mais, au total, il ne fumait plus. Quand sa seconde lecture fut achevée, il posa tout doucement la lettre sur sa table, regarda son domestique avec une distraction inaccoutumée, et sa main tremblait quelque peu lorsqu’il retira sa pipe de sa bouche.

« Shrowl ! dit-il fort tranquillement… Mon frère s’est noyé.

— Je le sais, répondit Shrowl sans lever les yeux du fragment imprimé… Je lisais justement ce qu’on en dit dans le journal.

— Le jour où nous nous querellâmes au sujet de sa comédienne, continua M. Treverton, se parlant à lui-même pour le moins autant qu’à son serviteur, ses dernières paroles furent que je mourrais sans avoir au cœur la moindre sympathie pour n’importe quel être vivant.

— Et il aura dit juste, murmura Shrowl, qui regardait au dos de son lambeau de journal, pour voir s’il y avait par hasard quelque renseignement supplémentaire.

— Je ne sais trop ce que, au moment de sa mort, il aura pu penser de moi, dit M. Treverton, reprenant en main la lettre qu’il venait de déposer sur la table.

— Il n’aura pas perdu son temps à penser à vous ni à personne, remarqua Shrowl… S’il pensait à quelque chose, c’était à se tirer d’affaire… Et quand il n’a plus pensé à ceci, du diable soit s’il a eu la moindre pensée… Il était mort et bien mort. »

Ayant ainsi fait connaître sa manière de voir, M. Shrowl se dirigea vers le baril de bière et en tira sa boisson du matin.

« Au diable la comédienne !… » murmura M. Treverton.

Comme il articulait cette malédiction, sa figure devint plus sombre, et ses lèvres se serrèrent l’une contre l’autre. Il déplissa lentement la lettre étalée sur la table. Il semblait qu’il ne fût pas bien au fait de ce qu’elle lui avait appris ; qu’il y cherchât un sens nouveau, jusqu’alors impénétré ; qu’il y supposât autre chose que ce qu’elle renfermait au premier coup d’œil. Reprenant pour la troisième fois cette lecture, il la fit à