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rité, sachant que les Sables m’attendent pour me recevoir, lorsque mon triste récit sera achevé.

« De plus, vous trouverez votre robe de nuit dans la cachette, avec sa tache de peinture sur elle ; vous aurez le désir de savoir comment il se fait qu’elle ait été mise là par moi, et pourquoi je ne vous en ai pas instruit de mon vivant. Je ne puis vous donner qu’une seule raison. J’ai fait toutes ces choses étranges parce que je vous aimais.

« Je ne vous ennuierai pas en vous racontant la vie que je menais avant votre arrivée chez milady. Lady Verinder me prit dans un refuge, et je sortais de prison ; j’y avais été mise parce que je volais : j’étais devenue une voleuse parce que ma mère descendait, elle, dans la rue, alors que j’étais une toute petite fille. Ma mère était tombée si bas parce que le gentleman qui était mon père l’avait abandonnée. Il est inutile de s’étendre sur une histoire tellement banale ; on en trouve tous les jours de pareilles dans les journaux.

« Lady Verinder et aussi M. Betteredge furent bien bons pour moi ; ces deux personnes, ainsi que la Directrice du refuge, sont les seules créatures bonnes et honnêtes que j’aie jamais connues dans ma vie. J’eusse pu me maintenir, non avec bonheur, mais enfin me maintenir dans ma place sans votre arrivée dans la maison. Je ne vous blâme pas, monsieur ; ce fut ma faute, et bien ma faute.

« Vous souvenez-vous du matin où vous êtes arrivé par les Sables près de M. Betteredge ? Vous m’apparûtes comme le prince des contes de fées, comme un amoureux dans un songe, et vous réalisiez ce que j’avais pu rêver de plus parfait parmi les créatures humaines. Une révélation de la vie heureuse que je devais toujours ignorer surgit devant moi dès que je vous vis. Ah ! ne riez pas de ma folie, si vous le pouvez ! Que ne donnerais-je pas pour vous faire comprendre combien elle était sérieuse pour moi !

« Je rentrai à la maison, j’écrivis votre nom et le mien dans ma boîte à ouvrage, avec un lacs d’amour au-dessous. Alors le diable, ou plutôt quelque bon ange me souffla : « Va te regarder dans la glace. » Le miroir me dit… mais peu importe ; je fus trop sotte pour accepter l’avertissement. Je continuai à devenir de plus en plus éprise de vous, comme si j’étais une dame de votre rang ou une belle