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CHAPITRE IV


Je ne saurais décrire les sensations que j’éprouvais ; je crois que le choc fut si violent qu’il suspendit un instant toutes mes facultés. Je ne savais certainement pas ce que je faisais quand Betteredge me rejoignit, car il me dit qu’il m’avait trouvé riant, qu’il m’avait demandé pourquoi, et que je lui avais mis la robe de nuit dans les mains en lui disant de résoudre l’énigme lui-même.

Je n’ai pas le plus léger souvenir de ce qui se passa entre nous ; la première chose que je me rappelle ensuite est la plantation de pins. Betteredge se dirigea avec moi vers la maison et m’assura que nous saurions regarder la question en face, quand nous aurions pris un verre de grog. La scène change ensuite et nous sommes dans le petit parloir de Betteredge ; j’ai oublié ma résolution de ne pas entrer dans la maison de Rachel ; je savoure avec délices la fraîcheur et la tranquillité de la chambre ; je bois le grog, ce qui est contre toutes mes habitudes à cette heure de la journée. En tout autre cas, ce breuvage inusité, que mon vieil ami a préparé avec de l’eau presque glacée, ne réussirait qu’à m’alourdir ; mais dans l’état où je me trouve, il donne du ton à mes nerfs. Je commence à « regarder la question en face, » comme Betteredge me l’a prédit, et Betteredge, de son côté, ne me le cède pas sous ce rapport.

Ma conduite, dans cette occasion, paraîtra, je le crains, fort étrange, pour ne pas dire plus. Placé dans une situation presque sans exemple, quel est mon premier mouvement ? Est-ce que je me retire à l’écart pour analyser dans la solitude le fait monstrueux que je ne puis comprendre et que pourtant l’évidence me force à admettre ? Est ce que je songe à retourner sur l’heure à Londres afin de consulter les gens les plus compétents et de soulever une enquête