Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sieur Franklin, et toute de mon fait personnel ; je ne veux pas vous inquiéter, mais vous êtes sûr de l’attraper avant la fin de la matinée.

— Du diable si j’y consens !

— Voyons, monsieur, ne sentez-vous pas une chaleur inaccoutumée au creux de l’estomac et des battements insupportables au sommet de la tête ? Pas encore ? Cela vous prendra à Cobb’s Hole ; j’appelle ce malaise la fièvre d’enquête, et moi je la gagnai en compagnie du sergent Cuff.

— Aïe ! aïe ! Alors le remède ne gît que dans la lecture de la lettre de Rosanna Spearman, je suppose ! Allons, partons, afin de l’avoir. »

Malgré l’heure matinale, nous trouvâmes la femme du pêcheur en train de travailler dans sa cuisine. Lorsque Betteredge m’eut présenté, la bonne Mrs Yolland s’acquitta du cérémonial strictement réservé (à ce que j’appris plus tard) aux étrangers de distinction. Elle déposa sur la table une bouteille de gin hollandais avec une couple de pipes neuves, et entama la conversation par ces mots.

« Quelles nouvelles de Londres, monsieur ? »

Avant que je pusse formuler une réponse à cette question infiniment complexe, une apparition sortit d’un coin obscur de la cuisine et s’avança vers moi. S’appuyant sur une béquille, une fille pâle, l’air hagard, avec d’admirables cheveux noirs et des yeux durs et perçants, s’approcha clopin-clopant de la table près de laquelle j’étais assis. Là, elle me contempla comme si j’étais pour elle un objet à la fois de curiosité et d’horreur dont la vue exerçait une sorte de fascination sur son esprit.

« Monsieur Betteredge, dit-elle sans lever les yeux de dessus ma personne, veuillez répéter son nom encore une fois.

— Le nom de ce gentleman, répondit Betteredge, qui appuya fortement sur le mot gentleman, est M. Franklin Blake. »

La fille me tourna le dos et quitta sur-le-champ la cuisine. Je crois que Mrs Yolland me fit des excuses à sa façon sur la bizarre conduite de sa fille, et que Betteredge me les transmit en langage plus civilisé. Mais je parle sans la moindre certitude, car je n’avais d’oreilles que pour écouter le son