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compagnons, dormant à ses côtés ! De la place que j’occupais, les derniers rayons du soleil projetaient mon ombre en avant ; soit que les chiens aperçussent mon approche ou que leur odorat si développé l’eût flairée, ils se levèrent en grognant. Le vieillard se redressa à son tour, les apaisa d’un mot et, se faisant un garde-vue de sa main, fixa avec curiosité la personne qui se montrait à la grille.

Mes yeux se remplirent de larmes, et il s’écoula un instant avant que j’eusse repris assez de calme pour lui adresser la parole.


CHAPITRE II


« Betteredge, dis-je en désignant du geste le livre bien connu qui reposait sur ses genoux, Robinson Crusoé vous a-t-il appris ce soir que vous pouviez compter sur la visite de Franklin Blake ?

— Par le Seigneur, monsieur Franklin, s’écria le vieillard, c’est là justement ce que Robinson Crusoé vient de faire ! »

Il se mit sur pied avec mon aide, et demeura un instant, à regarder alternativement Crusoé et moi, sans savoir évidemment lequel de nous deux lui causait le plus d’étonnement. Son incertitude se termina en faveur du livre. Le tenant ouvert dans ses mains, il contempla avec une indicible stupéfaction le merveilleux volume comme s’il se fût attendu à en voir sortir Robinson Crusoé lui-même désireux de nous accorder l’honneur d’une entrevue personnelle.

« Voici le passage, monsieur Franklin ! dit-il aussitôt qu’il put recouvrer l’usage de la voix. Aussi vrai que j’existe, voici ce que je lisais un instant avant votre arrivée ! Page cent cinquante-six, ainsi qu’il suit : « Je restai comme frappé de la foudre, ou comme si j’eusse vu une apparition. » Si cela ne veut pas dire : « Attendez-vous à l’arrivée subite de M. Franklin Blake », je ne sais plus ce que signifie la lan-