Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’avoue que je ne puis trouver d’autre explication à sa conduite. »

Je sonnai mon domestique et lui ordonnai de me procurer un livret de chemin de fer, puis de faire ma malle. M. Bruff me demanda avec étonnement ce que j’allais faire.

« Je pars pour le Yorkshire, lui répondis-je, par le premier train.

— Puis-je vous demander à quel propos ?

— Monsieur Bruff, l’offense dont je me suis rendu innocemment coupable vis-à-vis de Rachel, il y a près d’un an, est un grief qu’elle ne peut encore pardonner. Je n’accepterai pas cette position, due selon toute apparence à mon zèle pour la faire rentrer en possession de son joyau perdu ! Je suis résolu à découvrir le secret de sa haine contre moi et de son silence vis-à-vis de sa mère. Je n’épargnerai rien, ni le temps, ni les peines, ni l’argent, pour arriver à mettre la main sur l’auteur du vol. »

L’excellent homme essaya de me raisonner ; il me démontra de son mieux toute l’absurdité de mon projet et chercha enfin à me faire entendre raison, mais tout fut inutile ; j’étais sourd à son éloquence, et aucune considération humaine ne m’eût fait renoncer à ma détermination.

« Je reprendrai l’enquête, dis-je, au point où on l’a abandonnée ; et je la suivrai pas à pas jusqu’à ce moment-ci. Dans l’instruction de cette affaire, telle que moi je l’ai laissée, il y a des lacunes que Gabriel Betteredge peut combler. Donc je vais trouver Betteredge. »

Le soir du même jour, je revoyais la vieille demeure paisible et je me trouvais sur cette terrasse, bien présente à mes souvenirs. Le jardinier fut la première personne que je rencontrai dans les jardins déserts ; il me dit avoir laissé Betteredge une heure auparavant, assis au soleil dans son coin favori de la cour intérieure. Je connaissais bien cette place, et j’allai l’y chercher ; je suivis donc les sentiers qui m’étaient si familiers et me mis à regarder par la grille ouverte de la cour.

Il était là, l’ami fidèle des jours heureux qui ne devaient plus revenir ; il était là sur sa vieille chaise massive, se chauffant dans l’angle accoutumé, sa pipe à la bouche, son Robinson Crusoé sur les genoux, et les chiens, ses bons