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— Mais pourquoi, monsieur Murthwaite ? C’est là ce que je désire savoir.

— Parce que jamais l’Indien, monsieur Bruff, ne s’expose à un risque inutile. Ils ont pu lire dans le testament du colonel, n’est-il pas vrai ? que la Pierre de Lune deviendrait la propriété absolue de miss Verinder à partir du jour anniversaire de sa naissance. Très-bien. Quel était alors le plan le plus simple et le plus sûr à suivre ? Tenter de s’emparer du diamant pendant qu’il restait entre les mains de M. Blake, qui s’était déjà montré capable de deviner leurs projets et de les déjouer ? Ne valait-il pas mieux attendre que la Pierre fût remise à une jeune fille qui jouirait naïvement du plaisir d’étaler ce joyau à tous les regards et dans chaque occasion ? Voyez si la conduite des Indiens ne vient pas à l’appui de ce que je dis là. Ils apparaissent après une longue et patiente attente, le soir même du jour de naissance, et la justesse de leur calcul est récompensée par la vue du bijou déployant ses mille feux sur le corsage de miss Verinder ! Lorsque, dans le courant de la soirée, j’entendis l’histoire du colonel et du diamant, j’eus une telle conviction de la gravité du péril auquel M. Blake avait échappé (car soyez sûr que les Indiens l’eussent attaqué si le hasard ne l’avait pas fait revenir de la ville en compagnie de ses cousins) et je pressentis de tels dangers dans l’avenir pour miss Verinder, que je conseillai fortement d’adopter le plan du colonel, et de détruire l’identité de la Pierre de Lune en la faisant tailler en plusieurs pierres séparées. Vous savez comme moi que mon conseil fut rendu inutile par suite de l’inconcevable disparition du diamant pendant cette même nuit ; vous savez encore que cet événement, qui déconcerta le complot hindou, eut pour conséquence l’arrestation momentanée des jongleurs sous prévention de vol et de vagabondage. La première partie de la conspiration se termine ainsi. Avant que nous abordions la seconde, puis-je vous demander si j’ai répondu à votre objection de façon à satisfaire un homme de bon sens ? »

Il n’était pas possible de nier que, grâce à sa connaissance intime du caractère indien, il n’eût résolu parfaitement mes doutes ; il faut bien avouer aussi qu’il n’était pas tenu comme moi de se souvenir des termes de plus de cent testaments rédigés par mes soins depuis celui du colonel Herncastle !