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profession, des sommes à placer à titre de prêts ; mais je ne les prête jamais à des étrangers, et je ne puis accepter le genre de garanties que vous m’offrez. »

Loin de chercher, comme tant d’autres importuns, à me faire me départir de ma règle, l’Indien me salua et remit sa cassette dans ses enveloppes sans un mot de protestation. Il se leva, et cet admirable assassin se disposa à me quitter aussitôt que je lui eus répondu.

« Votre condescendance envers un étranger m’excusera-t-elle de vous poser une seule question avant de prendre congé de vous ? » me demanda-t-il.

Je saluai à mon tour. Une seule question en partant ! la moyenne en comportait au moins cinquante dans les souvenirs que je gardais de mes clients.

« À supposer, monsieur, qu’il vous eût été possible de me prêter cet argent, quel est le délai d’usage dans lequel j’aurais dû vous le rembourser ?

— Suivant la coutume de notre pays, répondis-je, vous auriez pu, si ce terme vous convenait, vous libérer une année après l’époque où vous eussiez touché le prêt. »

L’Indien me fit un dernier et très-profond salut ; puis, d’un mouvement prompt et souple, il se glissa sans bruit hors de la chambre.

Cette sortie effectuée en un clin d’œil avec une légèreté féline me causa, je l’avoue, un moment de stupeur. Aussitôt que je pus réfléchir à l’aise, mon raisonnement m’expliqua le but de cette incompréhensible visite.

Durant son entretien avec moi, l’étranger avait été tellement maître de lui que sa physionomie, sa voix et ses manières défiaient tout examen. Mais il m’avait pourtant donné une chance de pénétrer malgré lui sous cette surface impassible. Il n’avait pas paru faire le moindre effort pour fixer dans sa mémoire rien de ce que je lui avais dit, jusqu’à ce que j’en vinsse à désigner l’époque à laquelle un débiteur pouvait commencer à se libérer d’un emprunt contracté par lui. Lorsque je lui donnai ce renseignement, il me regarda droit en face, pour la première fois, pendant que je parlais. La conclusion que j’en tirai fut qu’il avait eu un but particulier en me faisant cette question et que ma réponse avait été pour lui d’un intérêt considérable. Plus je réfléchis à cette