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suppliai de considérer sa position ; je lui rappelai qu’elle exposait sa conduite aux plus fâcheuses interprétations.

« Vous ne devez pas, lui dis-je, braver l’opinion publique pour obéir à un sentiment privé.

— Je le ferai, me répondit-elle, et je l’ai déjà prouvé.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous avez oublié la Pierre de Lune, monsieur Bruff. N’ai-je pas alors affronté l’opinion publique, pour des raisons qui m’étaient personnelles ? »

Sa réponse me réduisit au silence ; je fus conduit à rechercher, après cet étrange aveu, l’explication de son attitude à l’époque de la perte de son diamant. Plus jeune, j’eusse peut-être réussi à en pénétrer le motif ; je n’y pus parvenir alors.

J’essayai encore d’insister pour la dernière fois, avant la fin de notre promenade : elle resta inébranlable. Mon esprit était étrangement bouleversé lorsque je partis. Elle était obstinée et avait tort ; elle m’intéressait, je lui reconnaissais des qualités admirables, et elle m’inspirait une profonde compassion ! Je lui fis promettre de m’écrire dès qu’elle aurait des nouvelles à donner ; puis je retournai à mes affaires à Londres, le cœur rempli d’inquiétude.

Le soir de mon retour, et avant que je pusse recevoir aucune lettre d’elle, je fus surpris par une visite de M. Ablewhite père, qui venait m’apprendre que son fils avait reçu son congé, et l’avait accepté, ce même jour.

Avec l’opinion personnelle que je m’étais faite sur l’affaire, la seule annonce du résultat de l’entrevue des cousins me suffit pour comprendre le motif de la soumission de M. Godfrey, et cela aussi clairement que s’il me l’eût expliqué lui-même. Il était en quête d’une somme importante et en avait besoin à jour fixe. Les revenus de Rachel, qu’il eût été heureux de trouver en toute autre circonstance, ne pouvaient ici lui venir en aide ; Rachel avait donc pu reprendre sa liberté sans rencontrer de ce côté d’obstacles sérieux. Si on m’accuse de jugement téméraire, je demanderai à mon tour quel autre motif pourrait expliquer la facilité de M. Godfrey à renoncer à un mariage qui l’eût mis dans une position superbe jusqu’à la fin de ses jours.

La suite de mon entrevue avec M. Ablewhite père atténua